Matthieu 5, 1-12 – Un bonheur possible

La recherche du bonheur fait courir beaucoup de nos contemporains. Qui ne voudrait pas être heureux ? Il n’y a rien de surprenant à cela : le bonheur est pour tout être humain une aspiration naturelle et profonde.

D’ailleurs, l’aspiration au bonheur est au cœur même de la recherche spirituelle. Déjà pour saint Augustin, il est clair que la personne qui cherche Dieu cherche en fait le bonheur. Et de fait, c’est souvent parce que l’on aspire à une vie plus heureuse que l’on commence à chercher Dieu.

Le bonheur, l’ONU aussi s’en préoccupe, l’ONU qui vient de publier le «Rapport 2013 du bonheur». Le « rapport du bonheur », c’est un rapport qui paraît toutes les années et pour tenter de mesurer le bien-être des individus dans chaque pays du monde.

Il est intéressant de noter au passage que les sept premières places reviennent à des pays protestants. En 2013, la France a perdu deux places et elle n’est qu’au 25e rang, derrière les Etats-Unis, la première place revenant au Danemark – le climat ne fait pas partie des critères de l’ONU….

En fait, les critères retenus par l’ONU sont au nombre de six : la générosité, la capacité de pouvoir compter sur quelqu’un, l’absence de corruption, mais aussi le revenu par habitant, l’espérance de vie en bonne santé et la possibilité de faire ses propres choix.

Si l’être humain porte en lui cette aspiration au bonheur, il semble qu’il ne l’a jamais recherché plus activement qu’aujourd’hui. Pourtant, il n’est pas sûr que nous soyons plus heureux au XXIe siècle que dans le passé.

Si le bonheur dépend de nos revenus, des personnes sur lesquelles nous pouvons compter, ou de notre espérance de vivre longtemps en bonne santé – trois des critères retenus par ce rapport de l’ONU –, c’est un bonheur qui ne dépend pas de nous, un bonheur dont nous n’avons pas la maîtrise. Ce bonheur-là n’est jamais assuré, il peut nous échapper à tout moment, parce qu’il dépend des circonstances, sur lesquelles nous n’avons malheureusement aucune prise : même au Danemark, on trouvera des malheureux qui ne parviennent pas à ces critères.

Pire, se focaliser sur ces critères nous incitera à vouloir à tout prix maîtriser les circonstances de nos vies, ce qui générera de l’angoisse et produira l’effet inverse.

C’est pourquoi nous pouvons avoir l’impression que le bonheur s’éloigne à mesure que nous le poursuivons. Proust disait très joliment : Il est rare qu’un bonheur vienne justement se poser sur le désir qui l’avait réclamé. Oui, nous constatons autour de nous que les gens les plus heureux, ce sont souvent ceux qui se préoccupent le moins de leur propre bonheur, ceux qui poursuivent un autre but.

La Galilée d’il y a deux mille ans aurait fait sans aucun doute beaucoup moins bien que la France quant au niveau de vie, à l’espérance de vie et à la liberté de faire des choix. Pourtant, dans ce contexte peu favorable, Jésus affirme que le bonheur est possible avec ce discours qu’on appelle les Béatitudes, un mot qui vient d’un mot latin qui renvoie au bonheur. Elles contiennent huit promesses plus une, et ces huit promesses sont encadrées par cette affirmation : le Royaume des cieux est à eux.

Dans cet Evangile, Jésus prononce le discours des Béatitudes sur une montagne, un rappel de l’épisode au Sinaï, où Moïse avait reçu les Tables de la loi. Mais la montagne des Béatitudes – ou plutôt la colline – n’a pas l’aspect menaçant du Sinaï, dont le peuple était tenu à distance par les tonnerres et les tremblements de terre le peuple, sous peine de mourir. C’est une colline dont on peut s’approcher, et les disciples de Jésus sont là avec lui, une manière de montrer que ces promesses ne sont pas réservées à une élite spirituelle.

Le bonheur dont parle Jésus semble complètement indifférent aux critères retenus dans le rapport de l’ONU, qui ne se préoccupe que de bien-être, qu’il soit matériel ou non. Le bonheur dont parle Jésus concerne justement ceux qui ne sont pas dans le bien-être : ceux qui pleurent et ceux qui sont persécutés. Oui, le Royaume des cieux est une réalité offerte à tous, même à ceux qui sont dans les difficultés.

Dans l’histoire, le dolorisme a fait beaucoup de tort au christianisme. Mais être chrétien, ce n’est pas être masochiste, être chrétien, ce n’est pas rechercher le sacrifice et la douleur. Le bonheur dont parle Jésus est rendu possible non pas grâce aux difficultés – ce ne sont pas les difficultés qui rendent heureux –, mais malgré les difficultés.

Les Béatitudes ne sont une liste de choses à faire pour être heureux, mais comme un texte destiné à réconforter les chrétiens qui vivaient dans les années 80 de notre ère et qui étaient aux prises avec des persécutions et des difficultés de toutes sortes ; elles ne sont pas une nouvelle Loi plus exigeante que le Décalogue de Moïse, mais au contraire une aide pour le chrétien dans les épreuves qu’il peut être amené à traverser ; elles ne sont pas un catalogue de prescriptions irréalisables, mais au contraire un encouragement pour résister dans les difficultés, parce que le Royaume est une réalité, il est une réalité chaque fois que l’autorité divine est reconnue, et parce que ces épreuves ne dureront pas toujours.

Celles et ceux parmi nous qui traversent des difficultés pourront donc trouver dans les Béatitudes des promesses à méditer, des promesses qui les encourageront à résister dans l’adversité et à tenir bon.

Et je terminerai par une note d’humour, avec cette histoire rabbinique qui relativise les difficultés que nous pouvons être amenés à traverser : Elle met en scène le roi Salomon. Il va voir un bijoutier pour qu’il lui fasse une bague aux pouvoirs magiques, une bague qui aurait le pouvoir de le réconforter quand il serait déprimé et de le calmer quand il serait trop joyeux. Le bijoutier accepte sa commande. Quelques jours plus tard, le roi Salomon vient chercher sa bague. Il l’examine : c’est une simple bague, sur laquelle le bijoutier a juste gravé cette inscription : « Cela aussi passera ! »

Oui, les joies comme les peines sont éphémères, et dès maintenant nous sommes tous appelés à connaître la réalité du Royaume des cieux.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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