Matthieu 5, 13-16 – Sel et lumière

Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde. Le sel, la lumière, deux images qui sont ici mises ensemble. L’image du sel et l’image de la lumière sont aussi présentes chez Marc et Luc, mais de séparées, à des endroits différents. Ici, notre Evangéliste les a rassemblées et on peut supposer que c’est intentionnel. Nous allons essayer de voir pourquoi, et pour cela nous allons chercher ce qui est commun à ces deux images.

Commençons par l’image du sel. Nous pensons tout de suite au sel qui accompagne nos plats pour leur donner du goût. C’est ce qui nous vient en premier à l’esprit.

Mais le sel a aussi un autre rôle, un rôle purificateur : à une époque où les réfrigérateurs n’existaient pas, il permettait de conserver les aliments en les empêchant de pourrir. Aujourd’hui encore, on utilise le sel pour préparer la charcuterie, par exemple. Le sel était associé à la longévité, il prolongeait la vie des aliments.

Et puis en Israël, le sel avait aussi un rôle cultuel, lié au précédent : sur les offrandes que l’on présentait à Dieu, on mettait toujours du sel. Par là on signifiait que les offrandes faites à Dieu défiaient le temps. C’est pourquoi dans l’Ancien Testament, pour parler d’une alliance indestructible, sûre, solide et à l’épreuve du temps, on parlait d’une « alliance de sel ».

Oui, le sel défie le temps. Mais alors, pourquoi Jésus dit-il que le sel peut perdre sa saveur ? Sur le plan chimique, il est impossible que le sel perde sa saveur.

Peut-être Jésus a-t-il à l’esprit le sel utilisé en Palestine du premier siècle et qui était de mauvaise qualité : ce sel qui venait de la mer Morte était a mélangé à d’autres cristaux qui n’avaient pas la stabilité des cristaux de sel ; si on exposait ce sel à la pluie ou au soleil, il pouvait effectivement perdre sa saveur parce que ses autres composants pouvaient se modifier.

Et ce sel, qui avait perdu une grande partie de ses propriétés, on le répandait sur le dallage du Temple pour empêcher les gens de glisser, un sel qui n’est plus bon qu’à être jeté dehors et piétiné, comme le dit Jésus. C’est tout ce à il pouvait servir, parce que le sel a beaucoup de vertus, mais quand il est jeté au sol, il ne peut que rendre la terre stérile. C’est d’ailleurs pourquoi les Israélites mettaient du sel dans les villes ennemies prises à l’ennemi et qu’ils ne voulaient pas voir reconstruites un jour.

Le sel donne de la saveur aux plats et prolonge leur vie. De même, les chrétiens ont dans leur environnement un effet attrayant et vivifiant.

Jésus parle à la deuxième personne du pluriel, il dit vous êtes le sel de la terre. Ce n’est pas le chrétien tout seul dans son coin qui a cette parole attrayante et vivifiante, mais c’est la communauté chrétienne dans son ensemble, aujourd’hui on dirait l’Eglise. Et puis Jésus emploie l’indicatif et non l’impératif, il dit vous êtes le sel de la terre, et non pas soyez le sel de la terre : cette parole attrayante et vivifiante, elle ne nécessite pas que l’Eglise redouble d’effort pour la trouver, cette parole, c’est simplement la parole libératrice du message évangélique.

Voilà pour l’image du sel. Passons maintenant à celle de la lumière.

La lumière était assimilée à Dieu et à sa Parole : la lumière de mes pas, la lampe de ma route, c’est ainsi qu’est qualifiée la Parole dans le Psaume 119.

Pour la lumière aussi, Jésus parle à la deuxième personne du pluriel, il dit  vous êtes la lumière du monde : c’est l’Eglise qui porte cette lumière, comme le chandelier à sept branches portait la lumière au sein même du sanctuaire. Et puis Jésus emploie l’indicatif et non l’impératif, il dit vous êtes la lumière du monde, et non pas soyez la lumière du monde : là aussi, cette lumière est propre à l’Eglise, et ce qui lui est demandé, ce qui nous est demandé, c’est simplement de ne pas la ranger dans un coin.

Comme le sel peut devenir inefficace, il en est de même si la lampe est mise sous un boisseau. Le boisseau, c’est le lieu de rangement de la lampe quand on ne s’en sert pas.

Dire que la communauté chrétienne est une lumière est une affirmation forte : cela signifie que par son témoignage la communauté chrétienne est porteuse de cette Parole qui ne vient pas d’elle, mais de Dieu.

Les œuvres des hommes peuvent susciter la louange des hommes, mais en elles-mêmes elles sont incapables de tourner nos regards vers Dieu, qui en est la source. En ce sens, du fait qu’ils sont lumière du monde, les chrétiens rendent gloire à Dieu.

Dans un premier temps, avec ces deux images du sel et de la lumière, on est déconcerté, parce qu’on est face à une idée contradictoire d’enfouissement et de rayonnement.

Mais quand on va plus loin, on voit que l’Evangéliste a voulu avec ces deux images illustrer une vérité. Le sel et la lumière sont deux éléments qui ont un effet sur ce qui entre en contact avec eux. Le sel donne le goût aux aliments et la lumière la couleur aux choses ; le sel permet de goûter la saveur des choses, et la lumière la beauté des choses.

S’il peut arriver à l’Eglise de donner une image triste, ce n’est pas dans l’ordre des choses et c’est toujours parce qu’elle a oublié ou mis de côté le message libérateur de l’Evangile. L’Eglise est formée de tous ceux qui croient à ce message et qui en vivent. Quand l’Eglise est fidèle à sa mission, elle sauve le monde de la tristesse et de la grisaille.

Alors, concrètement, qu’est-ce que cela veut dire pour nous ? Cela veut dire que nous avons à être pleinement nous-mêmes et que nos lieux de culte doivent être visibles. Car si l’Eglise n’est pas visible, comment ceux qui sont dans une recherche spirituelle pourront-ils faire aboutir leur recherche s’ils ne nous trouvent pas. Les Eglises de maison sont à la mode. Elles peuvent avoir leur intérêt, mais surtout dans les temps de persécutions, et il ne faudrait pas qu’elles deviennent des cercles, des clubs, qui coopteraient leurs membres.

Lorsque je parle à des Manosquins, je suis toujours surpris par le fait qu’une large majorité d’entre eux ignore l’existence de notre temple, et a fortiori de notre communauté protestante. Oui, nous pourrions être plus visibles. La visibilité de l’Eglise, cela commence par des choses toutes simples et qui au premier abord ne paraissent pas très spirituelles, comme par exemple la demande que nous avons faite à la mairie pour que soient installés des panneaux qui signalent le temple. Car l’Eglise n’a pas sa fin en elle-même : sa raison d’être est juste de transmettre un message, un message libérateur et stimulant.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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