Matthieu 5, 17-48 – Vous avez appris qu’il vous a été dit… eh bien moi je vous dis

Vous avez appris qu’il a été dit… eh bien moi, je vous dis. Cela revient six fois, comme un leitmotiv dans ce discours de Jésus à ses disciples.

Jésus parle avec autorité et il se positionne par rapport à la Loi de Moïse. Pour se démarquer de Moïse, on aurait pu s’attendre à ce qu’il tourne la page de la Loi pour passer à autre chose, mais c’est le contraire : il la rend plus intransigeante. La Loi de Moïse condamnait le meurtre, Jésus condamne la seule colère ; la Loi de Moïse condamnait l’adultère, Jésus condamne le seul désir. Oui, dans ce Sermon sur la montagne, Jésus nous apparaît sous un jour bien sévère.

Jésus n’est-il pas supérieur à Moïse ? Il est donc logique qu’il plus exigent que lui. N’est-ce pas le raisonnement que se font que beaucoup de chrétiens ?

Mais avons-nous conscience qu’un tel raisonnement n’apporte rien de très neuf par rapport à ce qui était vécu dans le judaïsme : on remplace juste le mot Loi par le mot Amour, et le tour est joué, l’Amour devient alors une nouvelle Loi, une Loi encore plus implacable que la précédente. Et en plus on a le sentiment d’être très spiritue

Le problème, c’est que l’Evangile signifie « bonne nouvelle », et que l’on ne voit pas très bien où peut être la bonne nouvelle dans une telle approche.

Il est évident que nous avons affaire à un passage difficile. Mais sous prétexte qu’il est difficile, faudrait-il le passer sous silence ? Nous ne nous en tirerons pas à si bon compte.

Oui, c’est un texte difficile, qui ne peut pas être pris au premier degré, sous peine de créer une grande confusion. Mais heureusement, même les milieux les plus fondamentalistes n’ont jamais pris à la lettre ce texte dans son intégralité : a-t-on n’a jamais entendu dire qu’un chrétien s’était déjà arraché un œil ou coupé une main ?

Il s’agit ici de ce qu’on appelle une hyperbole, c’est-à-dire un procédé littéraire qui utilise l’exagération pour donner plus de force à ce qui est dit. L’Evangile de Matthieu est très marqué par la culture juive et il emploie beaucoup les hyperboles. S’arracher un œil ou se couper une main relève donc ici de l’hyperbole.

Mais que faire de toutes les autres injonctions ? Reconnaissons-le : nous sommes tentés de voir dans ce texte un discours moralisateur. Seulement, faire de ce texte un discours moralisateur lui enlève toute cohérence avec le reste du message évangélique.

Il nous faut comprendre quel est le véritable but de ce texte, et pourquoi l’Evangéliste a mis ces paroles dans la bouche de Jésus. Un indice peut nous mettre sur la voie ; il se trouve dans notre texte : c’est cette pique de Jésus en direction des scribes et des pharisiens : Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des pharisiens.

Comment pourrait-on faire mieux qu’eux ? Ils étaient des observateurs scrupuleux de la Loi. Personne ne pouvait les surpasser dans leur zèle à appliquer jusqu’au plus petit commandement de la Loi. Vouloir être encore plus rigoureux, encore plus scrupuleux qu’eux, c’est impossible.

Dans la controverse qui agitait alors le judaïsme, cette controverse qui a mis en présence deux rabbins : Hillel et Shammaï, c’était toute la question du rapport à la Loi qui était engagée. Hillel proposait une observance accommodante de la Loi, pour que tous puissent l’appliquer ; Shammaï, en revanche, était plus proche des pharisiens et insistait sur une observance stricte et rigoureuse de la Loi.

Eh bien Jésus propose une troisième voie pour sortir de ces façons de voir la Loi, qui ne mènent nulle part. En fait, Jésus souligne l’impossibilité de suivre parfaitement la Loi en montrant que même ces scribes et ces pharisiens, ils n’observent pas correctement la Loi. Pour cela, il suffit de la radicaliser, de l’interpréter de la manière la plus extrême possible.

Et dans la mesure où il a établi clairement qu’absolument personne n’est capable d’observer cette Loi, Jésus propose quelque chose de complètement novateur : cette Loi, il va l’accomplir lui-même, à la perfection, dans l’engagement de toute sa vie.

Et c’est par sa vie même qu’il va nous faire comprendre la véritable signification de la Loi, ce que les scribes et les pharisiens ne sont jamais parvenus à faire, eux qui avec leur souci scrupuleux, prennent le détail pour le tout, de sorte qu’ils sont incapables de discerner ce qui fait l’esprit, l’essence, de la Loi.

Au 23e chapitre de ce même Evangile, Jésus leur dira : Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites, parce que vous payez la dîme sur la menthe, le fenouil et le cumin, mais vous avez négligé ce qui est la plus important dans la Loi : la justice, la miséricorde et la fidélité. En fait, ils sont de piètres théologiens et leur manque de clarté ne peut apporter que la confusion à leurs disciples. C’est pourquoi Jésus les traitera de guides aveugles.

Jésus récuse donc aussi bien une observance accommodante de la Loi, qu’une observance scrupuleuse et tatillonne. Il ne peut y avoir d’autre absolu que Dieu, et pour éviter d’être elle-même absolutisée, la Loi doit être dépassée.

En tant que chrétiens, nous observons cette Loi radicale non par nous-mêmes, mais dans la mesure où Jésus-Christ a été le premier et le seul à l’avoir parfaitement observée. Nos vies sont au bénéfice de sa vie à lui.

En nous proposant cette alternative, Jésus a ce tour de génie de se montrer à la fois conservateur à l’extrême – il garde la Loi dans son intégralité, sans l’adoucir en rien –, et en même temps révolutionnaire à l’extrême – il change complètement notre rapport à la Loi. C’est dans cette tension constante que la Loi sera pour nous un gage de vie et de bonheur, parce qu’elle perd à tout jamais son pouvoir de condamnation.

Au XVIe siècle, les Réformateurs ont redécouvert cette incapacité de l’être humain à observer parfaitement la Loi et donc son incapacité à se sauver lui-même. C’est ce que l’on appelle le salut par la grâce seule, et c’est cela, et cela uniquement, qui fonde notre protestantisme.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

Contact