Matthieu 6, 24-34 – Les oiseaux du ciel et les fleurs des champs

Pour répondre à l’appel de Jésus, Pierre, André, Jacques et Jean n’ont pas hésité à abandonner leur place dans l’entreprise familiale de pêche sur le lac de Tibériade, pour répondre à l’appel de Jésus, Matthieu a quitté son emploi de collecteur d’impôts à Capharnaüm, et quant aux autres apôtres, nous ignorons quels métiers ils exerçaient avant de rencontrer Jésus, mais il est évident que, pour pouvoir répondre à l’appel de Jésus, aucun d’entre eux n’avait gardé une activité rémunérée.

Parcourir les chemins de la Galilée en annonçant le Royaume de Dieu, ce n’était pas une activité très lucrative, et les disciples n’étaient pas sûrs de manger tous les jours à leur faim. Bien sûr, ils vivaient dans une société moins complexe et moins soucieuse de sécurité matérielle que la nôtre, mais ils avaient quand même besoin, comme nous, d’un minimum de ressources pour vivre.

Comment ne jamais manquer de rien quand on passe la plus grande partie de son temps à sillonner les chemins ? Ce mode de vie empêche tout revenu régulier, et il y a fort à parier que, de temps à autre, les apôtres ont dû avoir quelques inquiétudes. C’est le propos de notre passage, où le verbe se faire du souci ne revient pas moins de cinq fois.

Aujourd’hui comme il y a deux mille ans, nous avons recours à l’argent pour satisfaire nos besoins. L’argent nous rend autonomes : les parents qui donnent de l’argent de poche à leurs enfants les rendent autonomes et responsables ; la législation qui dans les années soixante a autorisé les femmes à avoir la libre disposition de l’argent qu’elles gagnaient, les a rendues autonomes et a contribué à leur émancipation.

Dans la mesure où l’argent donne à l’être humain un minimum de dignité, il n’est pas mauvais en soi. Mais si nous regardons bien notre texte, le terme argent ne figure pas dans le texte grec. La critique de Jésus n’est pas adressée à l’argent.

Jésus parle non pas de l’argent, mais de Mammon. Ce mot vient de l’araméen, la langue que parlaient Jésus et tous les Juifs de la région, à l’époque. Il signifie richesse. Mammon personnifie non pas tant l’argent, mais bien plutôt le principe même du matérialisme.

L’argent n’est pas mauvais en soi, mais il peut le devenir quand on en fait un absolu, quand il nous donne le sentiment que nous sommes invincibles, que nous pouvons tout nous permettre, que nous pouvons tout maîtriser, et quand nous oublions que tout nous est donné par Dieu.

Non, Jésus ne critique pas l’argent en soi, ce qu’il critique, c’est le mauvais rapport à l’argent, c’est-à-dire ne voir que l’argent et oublier que Dieu est la source de tous les dons.

De l’argent, Montesquieu disait qu’il n’y a jamais eu un si bon esclave et un si méchant maître. Est-ce l’inquiétude qui appelle le culte de l’argent ? Ou bien le culte de l’argent qui appelle l’inquiétude ? En tous cas, les deux sont liés.

Oui, l’inquiétude et les soucis naissent dès que l’on se détourne de Dieu pour regarder l’argent. C’est pourquoi Jésus demande à ses disciples de haïr ce méchant maître, pour reprendre l’expression de Montesquieu ; dans le grec des Evangiles, haïr quelqu’un veut dire simplement devenir indifférent vis-à-vis de cette personne.

Si nous considérons que tout vient de Dieu, nous ne donnerons pas à l’argent une importance trop grande, mais si nous pensons que l’argent comblera tous nos besoins, nous serons inquiets, rongés par le souci. Jésus veut nous éviter cela, il veut éviter que le souci use notre force et notre énergie.

Car pour accomplir une grande mission – et l’annonce de l’Evangile est la plus grande mission qui soit – il nous faut être tout entier concentrés vers ce but. Notre attention doit être orientée. Si nous sommes partagés, si nous nous laissons envahir par l’inquiétude, nous serons partagés, la tension intérieure provoquée par les soucis nous fera vite perdre notre dynamisme et notre efficacité.

Oui, c’est Dieu qui nous donne tout. Les païens ignoraient cela, et ils recherchaient comment ils seraient nourris et comment ils seraient vêtus ; ils ignoraient l’amour de Dieu et faisaient violence à sa création en s’emparant des choses au lieu de les recevoir.

Mais n’est-ce pas aussi le propre de notre société, qui accapare avec avidité les ressources naturelles de notre planète et crée les problèmes écologiques que nous connaissons ?

Il ne doit pas en être ainsi, nous ne devons pas regarder l’argent comme le procédé ultime pour obtenir les choses, mais lui donner sa juste place en mettant toute notre confiance en Dieu seul.

Mettre sa confiance en Dieu, ce n’est pas rester passif ; mettre sa confiance en Dieu, ce n’est pas rester inactif. Nous pensons souvent que l’action s’oppose à l’inaction, et donc que l’action s’oppose à la contemplation, mais ce n’est pas vrai : il n’y a pas d’un côté l’action et de l’autre la contemplation, mais la contemplation qui rend possible l’action.

Non, Jésus ne dénonce pas l’action, et les Evangiles nous montrent bien que ni lui ni les apôtres n’étaient des inactifs : pendant trois années, inlassablement, ils ont sillonné les chemins de la Galilée et des pays alentour, pour annoncer la bonne nouvelle du Royaume.

Sœur Myriam, qui en tant que diaconesse de Reuilly a passé une bonne partie de sa vie dans la méditation, disait que le contraire de la contemplation, ce n’était pas l’action, mais le souci. La contemplation ne s’oppose donc pas à l’action, mais au souci. Comme le soleil fait fondre la glace, la contemplation de Jésus-Christ fait disparaître nos soucis et nous permet de garder toute notre énergie pour l’action.

C’est une leçon de sagesse que Jésus nous délivre ici : il nous invite à découvrir l’enseignement de la nature en contemplant les oiseaux du ciel et les fleurs des champs.

Mais aujourd’hui, dans notre course frénétique et notre souci du lendemain, trouvons-nous encore le temps de contempler la nature ? Trouvons-nous encore le temps de regarder les oiseaux du ciel et les fleurs des champs, pour en tirer, comme Jésus, une leçon de vie ?

Amen.

Bernard Mourou

 

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