Mattieu 25, 1-13 – Les dix vierges

Voila une parabole déroutante, parce qu’elle contient beaucoup d’invraisemblances. Il faut bien reconnaître que dans notre contexte actuel, le mariage dont parle cette parabole est tout à fait loufoque, complètement absurde.

Les jeunes filles dont il est question ici – des demoiselles d’honneur, en quelque sorte – prennent des lampes pour sortir à la rencontre du futur marié. Si elles prennent des lampes, c’est qu’il fait nuit. Notre mariage a lieu la nuit. En plus, ces demoiselles d’honneur cherchent des magasins ouverts en pleine nuit. Elles espèrent des magasins ouverts 24 heures sur 24 ! Quelle drôle d’idée !

Au lieu d’attendre l’épouse, le futur marié se fait attendre : il n’a pas vraiment l’air pressé de se marier ! D’ailleurs, de la future mariée, il n’en est nullement question. On ne nous parle pas de la future mariée, mais seulement de dix demoiselles d’honneur.

Et puis où sont les invités ? Le texte n’en mentionne aucun. Pas de réjouissances. Pas de festivités. On ne fait pas la fête : on dort. En matière de fête, on serait plutôt saisi d’effroi : le futur marié ferme la porte à la moitié des demoiselles d’honneur et leur déclare qu’il ne les connaît pas ! Cela ressemble plus à un cauchemar qu’à un véritable mariage.

Décidément, cette histoire n’a rien à voir avec la façon dont se déroule un mariage chez nous aujourd’hui. Mais cette histoire a à voir avec la façon dont se déroule un mariage oriental, aujourd’hui ou à l’époque de Jésus. Et si nous nous plaçons dans ce contexte, cette histoire n’est pas si absurde qu’elle paraît.

Dans les mariages orientaux, la fiancée quitte la maison de ses parents dans un cortège pour se rendre dans la maison de son futur mari. Le futur mari, lui, est absent : il est soit avec sa famille, soit avec ses amis. Sa fiancée l’attend là où plus tard ils vivront ensemble, et c’est en pleine nuit qu’il la rejoint. Le cortège qui l’accompagne est éclairé par des lumières, et lorsque le futur marié arrive, on annonce sa venue haut et fort. C’est à ce moment-là que les demoiselles d’honneur interviennent : elles viennent l’accueillir avec des lumières. Et lorsqu’il entre dans la maison, on ferme la porte et la fête peut commencer. Une fête qui ne dure pas un soir, pas une journée, mais une semaine entière : plusieurs jours de festivités et de réjouissances.

Dans ce contexte culturel, les juifs attendaient le Messie pendant la nuit de la Pâque. C’est pour ça que dans les maisons juives, on laissait toujours la porte ouverte pendant cette nuit particulière. L’Eglise est née dans ce contexte culturel. Très tôt, les chrétiens ont célébré une vigile pascale. La liturgie prévoyait d’allumer des lumières. Le Père de l’Eglise Grégoire de Nazianze parle d’une nuit lumineuse qui dissipe les ténèbres du péché. Il précise que les chrétiens fêtaient leur rédemption avec de nombreuses lampes. Et il a cette phrase : Nous mourons avec la lumière qui a été mise à mort pour nous, afin de ressusciter avec la lumière ressuscitée.

Notre parabole se place justement dans ce moment de l’année liturgique : un peu avant la fête de la Pâque, qui va coïncider avec la Passion. C’est le moment que Jésus choisit pour annoncer ce qui doit arriver à la fin des temps. Juste avant, il a évoqué la destruction du Temple et les derniers événements. Maintenant, au moyen de plusieurs paraboles, il prépare ses disciples à cette période d’attente qui va commencer avec son Ascension et qui dure toujours, jusqu’à son retour.

Alors, avec cette parabole assez sombre, il faut bien le reconnaître, avec cette parabole qui parle d’un mariage sans en évoquer les réjouissances, Jésus chercherait-il à nous faire peur pour que nous restions vigilants ? Si c’était le cas, les jeunes filles avisées ne se seraient pas endormies. Mais elles se sont endormies, elles aussi, comme les autres. Il faut donc chercher ailleurs le sens de cette parabole. Il faut le chercher dans ce qui différentie ces dix jeunes filles.

Qu’est-ce qui différentie ces dix jeunes filles ? C’est simple : une seule chose les différentie : les unes ont anticipé les événements, elles ont anticipé l’attente, en faisant provision de cette huile précieuse, source de lumière, et les autres ont fait preuve d’insouciance, de négligence, elles n’ont pas compris ce qu’impliquait pour elles cette attente, elles n’ont attaché aucune importance à cette lumière.

Peut-être avaient-elles leur propre idée quant au retour du futur marié. Les premiers chrétiens attendaient un retour imminent de Jésus, mais cette parabole leur laisse entendre que sa venue risque de tarder. Quoiqu’il en soit, la négligence des jeunes filles insensées les privent de plusieurs jours de festivités et de réjouissances.

Quand il y a une fête, on en est informé longtemps à l’avance, on s’y prépare. Savoir vivre une fête suppose de savoir vivre le temps d’attente qui nous sépare d’elle. Les jeunes filles insensées n’ont pas su vivre ce temps d’attente. Leur erreur n’a pas été de s’endormir, mais de n’avoir pas su vivre ce temps d’attente.

Et nous ? Savons-nous vivre ce temps d’attente dans lequel nous sommes depuis deux mille ans ? N’y a-t-il pas des moments dans nos existences où, comme ces jeunes filles insensées, nous négligeons ce qui pourrait illuminer nos vies ? Des moments où nous passons à côté de l’essentiel ? N’y a-t-il pas des occasions manquées dans nos vies ? On n’a pas pris le temps, on n’a pas vu, on n’a pas osé, on a remis au lendemain. Et quand ces négligences se répètent, notre vie finit par perdre son sens, la joie ne nous illumine plus, nous nous retrouvons à sec, comme ces lampes devenue inutiles parce qu’elles n’ont plus d’huile. Et un jour, si nous ratons toujours les occasions, si nous ratons toujours les moments d’éternité qui parsèment toute vie, comme pour elles il sera trop tard, parce qu’il y a des choses qu’on ne peut pas obtenir à la dernière minute. Pour ces jeunes filles affolées, il est trop tard : impossible de trouver de l’huile pour leur lampe en pleine nuit.

A nous qui pensons parfois que tout est accompli parce qu’un jour nous avons reçu une fois pour toutes l’illumination de la foi, Jésus nous rappelle que cette foi doit continuer à nous illuminer, qu’elle doit continuer à être reçue comme un don jour après jour. Il nous revient de l’accueillir et de l’ancrer en nous toujours à nouveau, avec une attention persévérante.

Par cette parabole Jésus ne veut pas nous faire peur, mais il veut nous encourager à veiller, pour nous préparer à sa rencontre maintenant qu’il fait encore jour, pour que nous sachions l’accueillir même s’il vient comme un voleur dans la nuit. Cette venue, nous ignorons si elle aura lieu aujourd’hui ou dans un avenir lointain.

Ce temps de l’attente n’est pas seulement l’attente d’un autre temps : c’est aussi la quête de ce qui est éternel dans nos vies. Oui, dès maintenant, nous sommes appelés à vivre notre vocation, à vivre dans la lumière, grâce à chaque instant d’éternité qui nous est donné. C’est l’huile précieuse que, goutte après goutte, il nous faut recueillir, pour nourrir notre intériorité et illuminer nos vies par des instants d’éternité avec Dieu et avec notre prochain, afin de vivre dans la lumière et de pouvoir, un jour, prendre part aux festivités et aux réjouissances, dans la salle des noces, dans la mémoire éternelle de Dieu.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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