Philémon 9, 17 – Liberté et responsabilité

Cela n’arrive pas si souvent que l’épître à Philémon nous soit proposée comme lecture pour le culte. Cela n’arrive pas souvent parce que c’est la plus courte épître du Nouveau Testament : seulement 25 versets, un seul chapitre. Je saisis donc l’occasion qui nous est donnée aujourd’hui d’entendre ce texte.

L’épître à Philémon est une épître originale. C’est une lettre extrêmement concrète, dans laquelle Paul ne développe aucune théorie, aucune réflexion théologique. Et pourtant, cette lettre n’aurait jamais pu être écrite telle quelle si elle n’était pas sous-tendue par une profonde réflexion théologique, une réflexion théologique qui touche la question de la liberté, un thème cher à l’apôtre Paul.

Rappelons le contexte : Philémon est propriétaire d’un esclave, Onésime ; Onésime est parti, il a quitté son maître et s’est réfugié à Rome ; là il a fait la connaissance de Paul, qui était lui-même assigné à résidence ; Paul lui a annoncé l’Evangile et Onésime s’est converti. Il est à noter que les protagonistes sont tous les trois des chrétiens.

Pour un esclave, s’enfuir était une faute très grave, qui pouvait être sanctionnée par la peine de mort : une affaire qui nécessite du tact et de la prudence ; pour Paul, une affaire délicate, donc, ce qui ne l’empêche pas de s’autoriser une grande originalité.

Dans cette affaire, Paul ne prend position ni pour Philémon, ni pour Onésime ; il n’est ni conservateur, ni révolutionnaire. Il ne prend pas non plus une position politique, il ne s’adresse pas à l’empereur pour exiger que l’abolition de l’esclavage ; rappelons que l’empereur du moment, c’est Néron.

Non, Paul n’entreprend pas d’action politique ; son projet est plus modeste, mais plus concret et plus efficace aussi : Paul tient simplement à ce que l’esclavage soit aboli… dans l’Eglise ; l’Eglise comme laboratoire de la société future.

Et il le fait en en appelant à la responsabilité du propriétaire, il en appelle à la responsabilité de Philémon : Je n’ai rien voulu faire sans ton accord, afin que ce bienfait n’ait pas l’air forcé, mais qu’il vienne de ton bon gré. Oui, le christianisme bien compris ne fait appel ni à la contrainte, ni à la force : il se contente de responsabiliser, pour que celui qui agit le fasse en toute liberté

Je vous l’ai dit en introduction, nous avons affaire à une lettre particulièrement concrète ; dans cette lettre, Paul n’expose aucune théorie de la liberté. Et pourtant cette épître nous éclaire sur ce qu’est véritablement la liberté chrétienne.

Onésime a beau être un esclave, il est considéré par Paul comme un chrétien à part entière, un chrétien qui n’a ni plus ni moins de valeur que Philémon, puisque Christ est mort pour l’un comme pour l’autre ; Paul le dit déjà dans l’épître aux Galates : Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ.

Quant à Philémon, le ton avec lequel Paul s’adresse à lui n’est ni obséquieux, ni péremptoire ; il ne lui fait pas de courbettes, mais il ne lui donne pas d’ordres non plus ; il s’adresse simplement à lui au nom de l’amour. Il en va ainsi pour nous dans la vie chrétienne : Dieu nous veut responsables.

En tant qu’apôtre, Paul pourrait user de sa position dans l’Eglise pour imposer son point de vue à Philémon, mais il s’abstient de le faire, il ne choisit pas la facilité, il ne tire pas profit de sa position.

Non, au lieu de cela, il adopte un ton de pédagogue, parce qu’il sait que lorsque Philémon aura compris ce qui est en jeu, il n’opposera aucune résistance. Paul responsabilise Philémon. Il n’exige rien de lui, mais il le prie instamment pour celui qu’il appelle son enfant. Onésime est en effet son enfant spirituel : Paul l’a fait naître à la foi.

Paul lui rappelle aussi qu’Onésime pourrait lui être aussi utile à lui, non en tant qu’esclave, cette fois, mais en tant que collaborateur. C’est un clin d’œil : Paul joue sur la signification du nom d’Onésime, lequel veut justement dire utile ; il rappelle aussi par là qu’il peut prendre pour collaborateur aussi bien un esclave qu’un propriétaire d’esclave.

Il s’agit d’une véritable révolution dans une société où la société des esclaves et la société des hommes libres sont deux mondes distincts, mais c’est une révolution qui respecte l’ordre établi.

Nous le voyons, cette lettre de Paul a beaucoup de choses à nous dire à nous en tant qu’Eglise. Et elle a aussi quelque chose à nous dire en ce jour particulier où nous avons baptisé Timothée.

Lorsque tout à l’heure j’ai rappelé cette phrase de Paul dans l’épître aux Galates : Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus-Christ, je n’ai pas lu ce qu’il y avait juste avant. Or ce qu’il y a juste avant, c’est ceci : Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ.

Cette lettre a donc aussi quelque chose à nous dire à propos du baptême :

  • D’abord cette lettre traite de la liberté chrétienne ; or, la liberté est au fondement du baptême ; en effet, nous l’avons dit, nous souhaitons qu’un jour Timothée s’approprie l’héritage qu’il aura reçu de ses parents et de l’Eglise ; cette lettre de Paul à Philémon nous rappelle que l’appropriation de la foi chrétienne ne peut se faire que dans une entière liberté ; notre liturgie le dit sans ambiguïté : Aucune contrainte ne le retiendra dans la communauté chrétienne, mais, s’il venait à s’en séparer, vous affirmerez qu’il pourra toujours y retrouver sa place. Aucune contrainte ne le retiendra.
  • Ensuite, cette lettre nous dit que dans l’Eglise nous sommes tous accueillis sur un même pied d’égalité, quelle que soit notre fonction dans la société, quel que soit même notre position dans l’Eglise, nos grandes ou nos petites capacités ; le baptême d’un enfant l’affirme sans ambigüité : il nous dit qu’un enfant y est accueilli comme un adulte, un enfant qui pourtant n’a pas encore ses facultés de compréhension, un enfant, qui n’a pas encore une volonté éclairée ; le baptême nous rappelle avec force qu’un enfant a pleinement sa place dans l’Eglise, au même titre que celui qui a servi l’Eglise pendant des dizaines d’années.

Nous nous réjouissons que cela soit vrai aujourd’hui pour Timothée, que nous accueillons aujourd’hui dans l’Eglise. Nous souhaitons qu’il y trouve cet espace de liberté indissociable de la responsabilité. Cet espace de liberté indispensable à l’épanouissement d’une foi authentique.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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