Philippiens 4, 11-14 + 19-20 – Un sage

J’ai appris à me contenter de ce que j’ai. Voilà une parole de sagesse. L’apôtre Paul la prononce pour réagir à un don qu’il a reçu de l’Eglise de Philippes par l’intermédiaire d’un chrétien nommé Epaphrodite.

La ville de Philippes était au nord de la Grèce ; c’était une ville romaine, ce qui veut dire que ses habitants jouissaient d’un privilège : ils étaient, comme Paul, des citoyens romains ; Philippes a été la première ville du continent européen à avoir été évangélisée, par Paul accompagné de Silas, lors de son deuxième voyage missionnaire, une dizaine d’années plus tôt, ou peut-être un peu moins.

On a l’habitude d’avoir cette image de l’apôtre Paul : celle d’un évangéliste infatigable. Mais ce passage nous montre une autre facette du personnage : il nous fait comprendre que l’apôtre Paul était aussi un sage. Car seul un sage peut dire : J’ai appris à me contenter de ce que j’ai.

Oui, l’apôtre Paul est arrivé à être heureux en toutes circonstances, dans la frugalité comme dans l’opulence. Mais ce n’était pas quelque chose qu’il a toujours su faire, ce n’était pas pour lui quelque chose d’inné. Non, c’est le fruit d’une expérience qui a demandé du temps, sinon il ne dirait pas : j’ai appris : Je sais vivre de peu, je sais aussi être dans l’abondance ; ou encore, j’ai été formé : J’ai été formé à tout et pour tout. J’ai été formé, littéralement : J’ai été initié. On employait cette expression pour les initiations aux cultes des mystères païens.

Oui, l’apôtre Paul a eu besoin de temps pour parvenir à une vraie liberté intérieure. Cette liberté intérieure, il l’avait même pendant ses périodes d’emprisonnement, comme c’est le cas ici, puisque c’est en prison qu’il rédige ces lignes, comme le montre le début de cette lettre : Mes chaînes manifestent mon attachement au Christ.

Savoir se contenter de ce que l’on a, c’est faire preuve d’une grande sagesse. C’était le but que s’étaient fixé une philosophie très répandue à l’époque : la philosophie stoïcienne ; cette école de pensée avait influencé des personnages illustres tels que Cicéron ou Sénèque, et plus tard elle influencera Epictète ou encore l’empereur Marc Aurèle, qui fut un grand persécuteur des chrétiens.

Pour les philosophes stoïciens, Dieu n’est pas en dehors de la réalité, mais il est partout dans la nature ; ils considèrent donc que le bien est partout et ont tendance à minimiser le mal, qu’ils n’expliquent que par le fonctionnement du monde réel ; ils ont comme particularité de se méfier du désir, parce qu’ils considèrent que celui qui désire une chose sur laquelle il n’a aucune prise est un esclave ; leur seul but, pour bien vivre, est de se mettre en conformité avec la nature, la raison et le destin.

Au début de notre passage, Paul emploie cette expression : J’ai appris à me contenter de ce que j’ai, c’est-à-dire, J’ai appris à être autonome, le mot utilisé en grec a donné notre mot autarcie. C’était une expression souvent utilisée par les stoïciens, parce qu’ils valorisaient cette capacité de détachement. En ce sens, Paul met en avant une philosophie de vie qui rappelle beaucoup celle des stoïciens.

Mais à la différence de Paul, les stoïciens cherchaient à atteindre ce détachement en puisant dans leurs propres ressources ; ils trouvaient leur force en eux-mêmes. Or, ce n’est pas en lui-même que Paul trouve les ressources pour vivre ce détachement ; non, il est bien conscient de ne pas posséder cette aptitude en lui-même et il le dit clairement : Je peux tout en celui qui me donne la force.

Sans avoir cherché la sagesse, l’apôtre Paul est parvenu à la sagesse. Dans cette même perspective, saint Augustin dira plus tard : […] de même qu’on ne peut se donner l’existence, de même on ne peut tirer la sagesse de son propre fond ; il faut, pour l’acquérir, être éclairer par celui dont il a été écrit : « Toute sagesse vient de Dieu ».

Oui, Paul est véritablement un sage. Et s’il est véritablement un sage, c’est parce qu’il n’a pas fait de la sagesse le but premier de sa vie.

Aux chrétiens de Corinthe, il écrira : Le Christ Jésus […] est devenu pour nous sagesse venant de Dieu, et quelques lignes plus loin : Ma prédication n’avait rien des discours persuasifs de la sagesse […] afin que votre foi ne soit pas fondée sur la sagesse des hommes. […] pourtant, c’est bien de sagesse que nous parlons, […] mais ce n’est pas la sagesse de ce monde, […] ce dont nous parlons, c’est la sagesse du mystère de Dieu. A d’autres endroits, il n’hésitera même pas à dire qu’il a choisi la folie plutôt que la sagesse.

Oui, la priorité pour l’apôtre Paul, c’est Jésus-Christ, et non la recherche d’une sagesse. Mais en ne recherchant pas la sagesse, il atteint la véritable sagesse, celle qui vient de Dieu lui-même. Car On n’atteint pas la sagesse en en faisant une idole, mais en mettant le Christ au centre de sa vie.

Le christianisme n’est pas une sagesse, parce qu’il n’a pas pour but premier la recherche du bonheur. Néanmoins il nous offre la meilleure façon de vivre possible.

Pour l’apôtre Paul, l’essentiel n’est pas dans la recherche d’une sagesse. Ce qui le fait courir, ce qui a fait de lui un évangéliste infatigable, c’est son attachement au Christ et rien que cela. Cet attachement au Christ a une conséquence : il permet de tout relativiser : les privations comme l’abondance. Toujours aux Corinthiens, il écrira : Nos détresses d’un moment sont légères par rapport au poids extraordinaire de gloire éternelle.

Et c’est cette même conviction qu’il voudra faire connaître aux chrétiens de Rome, quand il leur écrira : J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur.

Oui, c’est une véritable sagesse que celle de l’apôtre Paul, et comme elle ne vient pas de lui, elle le conduit à manifester sa reconnaissance à Dieu, et il emploie pour cela cette belle formule liturgique : Gloire à Dieu notre Père pour les siècles des siècles. Amen.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

 

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