Philippiens 4, 6-9 – Les inquiétudes et les soucis

Ne soyez inquiets de rien. Des sujets d’inquiétude, Paul en a eu. Il sait de quoi il parle. Le moins qu’on puisse dire, c’est que sa vie a été particulièrement mouvementée. Quand il écrit cette lettre aux Philippiens, il n’est pas tranquillement installé chez lui, il ne médite pas dans un lieu retiré à l’abri des tourments de ce monde, mais il se trouve en prison et il attend son jugement : une situation bien peu propice à la sérénité.

Et jusque là, dans sa vie, Paul n’a pas connu que la prison. Il a dû affronter de nombreux dangers. Sa vie même a été mise en péril : les mauvaises rencontres toujours possibles sur les routes, la haine déterminée de tous ceux qui n’acceptaient pas son message. Dans une autre lettre, celle qu’il écrira aux Corinthiens un peu plus tard, il dira avoir frôlé la mort par lapidation et vécu plusieurs naufrages. Sans compter un sujet d’inquiétude qui surpasse tous les autres : la fragilité des Eglises, ces Eglises menacées de l’intérieur comme de l’extérieur. Oui, Paul sait de quoi il parle pour tout ce qui touche aux soucis et aux inquiétudes. Ce ne nous apporte pas une théorie déconnectée de la réalité, mais il est parfaitement crédible. Il a déjà mis en oeuvre pour lui-même les solutions qu’il propose aux Philippiens.

Alors quelles sont-elles, ces solutions?

Eh bien, ce que Paul nous propose, ce n’est pas une recette qui ferait appel à nos propres ressources. Il ne nous invite pas à être ingénieux, à redoubler d’efforts. Non, ce qu’il nous propose est plus simple, moins stressant, et à la portée de tous : il nous propose juste de communiquer, communiquer non avec nos semblables, qui n’ont souvent pas plus de solutions que nous, mais communiquer avec Dieu, lui faire connaître nos inquiétudes et nos besoins, lui faire part de ce que nous vivons et ressentons. Communiquer ne demande pas d’efforts. Parler, échanger, ne provoque pas de stress. Au contraire, c’est une façon efficace de le supprimer : quand nous parlons avec des amis, nous sommes complètement détendus. Il s’agit juste de faire part de nos inquiétudes et de nos soucis à celui qui les connaît déjà. Ce qui change, c’est que nous ne sommes alors plus seuls devant nos préoccupations, mais que nous sommes dans une présence.

Pourtant, l’expérience nous montre que cette communication n’est pas aussi évidente. Je crois que nous sommes confrontés à trois difficultés, trois difficultés qui affleurent dans notre texte.

La première difficulté est liée à ce que nous ressentons. Nous avons nos propres idées de ce que devrait être cette paix de Dieu : nous attendons un sentiment agréable, un bien-être intérieur. Il faut dire que notre contexte actuel est bien différent de celui de Paul. La période romantique du XIXe siècle a laissé des traces dans notre culture et notre façon de voir les choses. Le romantisme n’a pas touché seulement la littérature, mais aussi la religion. Il a exacerbé le sentiment. Les réveils religieux du XIXe siècle ont apporté au protestantisme une conception sentimentale de la foi. Mais la paix dont Paul nous parle est au-delà du sentiment, au-delà du simple bien-être intérieur. Il nous dit que cette paix gardera nos cœurs en Jésus-Christ. Ici, le cœur ne fait pas référence aux sentiments, mais à la volonté. Si la paix de Dieu était fondée sur nos sentiments, elle serait fluctuante, changeante, comme le sont tous nos sentiments. Mais non : La paix de Dieu n’est pas liée à nos sens, elle n’est pas fluctuante, elle n’est pas changeante. Paul ne nous promet pas un sentiment agréable et bienfaisant, parce que Dieu n’appartient pas à notre réalité sensible : Paul nous parle d’une réalité objective. Il s’agira donc de persévérer à communiquer avec Dieu quels que soient nos sentiments, parce que la paix de Dieu est au-delà de nos sentiments.

Ensuite il y a une deuxième difficulté, qui est celle de notre intellect, de nos raisonnements. Ce que Paul évoque, c’est une paix qui surpasse toute intelligence, une paix qui gardera nos pensées en Jésus-Christ. Comme il est difficile, devant un problème qui paraît sans solution, de ne pas essayer à tous prix d’imaginer un scénario heureux, de ne pas essayer de nous rassurer nous-mêmes, par nos propres moyens. Si nous imaginons une solution, nous voilà un peu rassuré : nous pouvons toujours espérer que cette solution se réalisera. Mais si nous n’entrevoyons aucune solution, c’est plus difficile : nous ne pouvons pas trouver un réconfort dans notre réflexion, dans notre imagination. Pourtant, si nous réfléchissons, nous fier à nos propres raisonnements, c’est encore essayer de trouver une solution par nous-mêmes, par nos propres forces, n nous passant de Dieu. Et il faut bien reconnaître que trop souvent nous avons tendance à faire confiance à nos propres raisonnements plutôt qu’à Dieu. Cette paix ne s’explique pas. Il s’agira donc de persévérer à communiquer avec Dieu, quels que soient nos raisonnements, parce que la paix de Dieu est au-delà de nos raisonnements.

Enfin, il y a une troisième difficulté, qui risque de nous décourager encore plus que les deux précédentes : c’est l’absence de résultats. Parfois nous prions et rien ne change. Mais notons bien que Paul ne nous dit pas : Par la prière, faites connaître vos demandes à Dieu, et votre problème trouvera une solution. Il nous dit Par la prière, faites connaître vos demandes à Dieu, et vous aurez la paix de Dieu. Oui, souvent, lorsque nous prions, c’est dans l’espoir que nos circonstances changeront. Or ce n’est pas cela que nous promet Paul : ce qu’il nous promet, c’est la paix de Dieu. Ce qu’il nous promet, c’est la conviction, l’assurance, que de toutes façons tout est bien, parce que ce que nous vivons n’échappe pas à Dieu, parce que Dieu connaît nos circonstances, et parce que la délivrance interviendra au moment opportun. Il s’agira donc de persévérer à communiquer avec Dieu, quels que soient nos circonstances, parce que la paix de Dieu est au-delà de nos circonstances.

Montherlant disait que plus un être est intelligent, moins il conçoit de drames, que la fonction première de l’intelligence, c’est de dissiper les drames, que, comme le soleil dissipe les nuées, nous pouvons alors exterminer les monstres, ces monstres que sont les faux drames. Mais pour cela il nous faut cette intelligence de Dieu. Et ce qui peut favoriser cette intelligence, c’est de nous détacher de plus en plus de nos inquiétudes et de nos soucis, qui ne viennent pas de Dieu, et de nous concentrer sur ce qui pourra nous rapprocher de lui. C’est pourquoi Paul nous invite à nous rendre attentifs, à focaliser notre attention sur tout ce qu’il y a de vrai, tout ce qui est noble, juste, pur, digne d’être aimé, d’être honoré, ce qui s’appelle vertu, ce qui mérite l’éloge. C’est ainsi que progressivement nos propres pensées nous abandonneront et que nous serons de plus en plus imprégnés des pensées de Dieu, qui a des projets de bonheur à notre égard.

Alors prenons la paix que Dieu nous offre, une paix qui ne se fonde pas sur nos sentiments, une paix qui ne se fonde pas sur nos raisonnements, une paix qui ne se fonde pas sur nos circonstances, mais une paix qui se fonde sur cette intelligence divine qui nous dépasse.

Amen.

Bernard Mourou

 

 

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