Romains 13, 8-10 – De la loi à l’amour

Une vingtaine d’années après les événements de la Passion, l’apôtre Paul a été le premier théologien à théoriser la foi chrétienne. C’est en tout premier lieu dans son épître aux Romains qu’il s’attelle à cette tâche.

Dans cette lettre, Paul voulait faire comprendre aux chrétiens de Rome le caractère novateur du christianisme. Ces croyants de Rome, Paul ne les a pas encore rencontrés, mais ils tiennent pour lui une place à part. Comme ils vivent dans la capitale de l’Empire, dans le centre du monde de l’époque, ils ont une importance stratégique. Dans le projet qu’il avait de diffuser l’Evangile dans tout l’Empire, Rome était pour Paul une ville incontournable.

Ce qu’il voulait transmettre aux chrétiens de Rome, c’était que Jésus avait donné à la religion juive une nouvelle dimension. Mais comment faire preuve de pédagogie vis-à-vis de ces croyants qui venaient parfois du paganisme et qui ne connaissaient pas toujours bien familiarisés avec la religion juive ? C’était un sérieux défi.

L’apôtre Paul parvient à relever ce défi en opérant un raccourci saisissant qui donne à son discours une grande efficacité. Il commence par ce qui constituait le fondement de la religion juive : le Décalogue – ce que nous appelons les dix commandements.

Mais de ce Décalogue il ne prend qu’une partie, celle que tout le monde peut admettre sans difficulté, indépendamment de son origine religieuse : la partie qui concerne non pas Dieu, mais l’être humain. Vous vous souvenez que sur les dix paroles du Décalogue, les cinq premières concernent Dieu, et les cinq dernières l’être humain. En faisant ainsi, Paul se situe d’emblée sur un plan universel. Il adapte son discours à tout être humain, quelle que soit sa religion.

Et dans sa volonté de simplification, il va encore plus loin que Jésus. Au jeune homme riche qui lui avait demandé ce qu’il devait faire pour avoir la vie éternelle, vous vous souvenez, Jésus avait dit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et ton prochain comme toi-même. Ici, Paul va encore plus loin dans la simplification, en ne retenant qu’un seul élément, mais un élément qui englobe tous les autres : l’amour du prochain : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

C’est une simplification radicale. Les juifs étaient habitués à suivre une multiplicité de préceptes. Dans la Torah, ils avaient dénombré 613 commandements. Pour les autorités rabbiniques, un bon juif devait constamment s’inquiéter de ce qui était autorisé et de ce qui ne l’était pas.

Avec ce que propose Paul, il en va tout autrement : tout devient naturel et on n’a plus besoin de se poser mille questions pour savoir si l’on observe correctement la loi.

En réduisant la loi à cette simple phrase Tu aimeras ton prochain comme toi-même, Paul met fin à un code moral compliqué et propose à la place une seule exhortation, une exhortation d’une simplicité parfaite et à la portée de tous.

Déjà dans le Deutéronome, où l’on peut lire : Cette loi que je te prescris aujourd’hui n’est pas au-dessus de tes forces ni hors de ton atteinte. Elle n’est pas dans les cieux, pour que tu dises : « Qui montera aux cieux nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ? » Elle n’est pas au-delà des mers, pour que tu dises : « Qui se rendra au-delà des mers nous la chercher ? Qui nous la fera entendre, afin que nous la mettions en pratique ? » Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique.

Cette loi n’est en effet pas hors de notre portée, dans la mesure où il ne s’agit pas de se sacrifier pour l’autre. Il ne s’agit pas de s’oublier et d’aimer l’autre plus que soi-même, mais de l’aimer comme soi-même. Et puis, c’est un amour que nous avons déjà reçu pour nous, et que nous continuons à le recevoir jour après jour.

Le génie de Paul est de supprimer tout interdit. Sur les 613 commandements, 248 étaient des préceptes positifs et 365 étaient des préceptes négatifs – autant que de jours dans l’année. Avec Paul, il n’y a plus un seul commandement négatif du style Tu ne feras pas ci ou pas ça. Il n’y a plus d’interdit. Il ne reste que cette unique recommandation, purement positive : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

En faisant passer la religion de la loi à l’amour, l’apôtre Paul inscrit le christianisme dans une perspective de liberté. Oui, le christianisme est une religion de la liberté. En effet, alors que la loi ne peut être vécue que comme une contrainte, l’amour est toujours libre. Quelques siècles plus tard, cette réalité sera illustrée par cette phrase de saint Augustin : Aime et fais ce que tu veux.

La loi empêchait de faire du mal aux autres et en cela elle était le garant d’une vie harmonieuse en société. Or l’amour va encore plus loin puisqu’il n’a plus rien à voir avec le mal. Le théologien Karl Barth disait : L’amour n’est pas soumis à la loi du mal. L’amour est donc plus parfait que la loi et garantit encore mieux cette vie harmonieuse en société.

Toute la loi est contenue dans l’amour. Vous connaissez le principe des poupées russes : une poupée plus grande que les autres en renferme une autre plus petite et quand on l’ouvre on trouve une autre poupée qui a exactement la même forme et une taille juste un peu plus petite, qui elle-même en continent une autre, et ainsi de suite.

L’amour, c’est un peu comme la plus grande de ces poupées russes : il contient tous les articles de la loi, de sorte que quand on a l’amour, on a aussi toute la loi, de la même manière que le fait de posséder la plus grande des poupées implique qu’on possède aussi toutes celles qu’elle contient. L’amour englobe tous les articles de la loi, il les renferme tous.

Paul a su parler admirablement de cet amour qu’il nous propose ici comme norme pour nos vies. Il en a donné une description magistrale dans sa première épître aux Corinthiens, quand il dit : L’amour prend patience ; l’amour rend service ; l’amour ne jalouse pas ; il ne se vante pas, ne se gonfle pas d’orgueil ; il ne fait rien d’inconvenant ; il ne cherche pas son intérêt ; il ne s’emporte pas ; il n’entretient pas de rancune ; il ne se réjouit pas de ce qui est injuste, mais il trouve sa joie dans ce qui est vrai ; il supporte tout, il fait confiance en tout, il espère tout, il endure tout.

Oui, Paul a su réconcilier la morale et la liberté et nous donner une perspective qui peut révolutionner la vie de nos contemporains, à commencer par la nôtre.

Amen.

 

 

Contact