Agir pour…

Une série de trois chroniques par Daniel Leclercq à propos du cycle estival 2014 de conférences au temple d’Etretat

 

Comme chaque été depuis maintenant plusieurs années, s’est tenu, en juillet et août, au temple d’Etretat, un cycle de trois conférences ; chaque fois, était proposé un thème et une question corollaire :

  • Agir pour prendre soin de soi ; que gagne-t-on à penser positif ?
  • Agir pour prendre soin des autres ; pourquoi développer la vie associative ?
  • Agir pour prendre soin de la planète ; comment sommes-nous vraiment concernés ?

Plutôt que de me livrer à l’exercice qui consiste, classiquement, à rendre compte plus ou moins fidèlement de ce qui a été dit, j’ai choisi délibérément de vous proposer une chronique en trois volets à paraître dans trois numéros de « Cap de Caux », le présent et les deux suivants. Cette chronique, bien sûr, n’engage que moi et pourra peut-être apparaitre peu orthodoxe à certains. C’est la raison pour laquelle, je l’ai intitulée : « Chronique iconoclaste »

 

Agir pour prendre soin de soi ; que gagne-ton à penser positif ?

Il s’agit bien là d’une question de notre temps. Qu’y a-t-il de mal, en effet, à se faire plaisir ? Qu’y a-t-il de mal à prendre soin de sa personne ? La publicité toujours prompte à renifler les tendances (et les bonnes affaires), ne s’y est d’ailleurs pas trompée et à coup de slogans du style « Vous le valez bien » cherche à nous déculpabiliser pour nous faire consommer toujours plus. Des « coachs » en tous genres, vous proposent, de vaincre votre timidité, de vous faire devenir ce que vous êtes ou ce que vous n’êtes pas et pourquoi pas de vous trouver l’âme sœur, bref de vous « coacher », moyennant, bien sûr, des honoraires rondelets. Mais « vous le valez bien », alors rien n’est trop cher. D’autres encore, vous proposent des stages de relaxation, des techniques de méditations, de respiration, des massages, des chirurgies réparatrices et des régimes éprouvés et, bien entendu, garantis par leurs seuls promoteurs. Votre santé nous intéresse ! Même les entreprises s’y sont mises et plus une ne saurait se préoccuper de la santé de ses salariés ; plus un DRH qui ne propose de stage de « savoir-faire » de « savoir être » ou de  «  bien-être au travail ». L’heure est à l’accomplissement personnel, l’heure est au MOI.

Cette frénésie du retour vers soi, ce repli vers ses proches, son clan, ce besoin de soigner son corps, son apparence, peuvent trouver une certaine légitimité dans la période compliquée que traverse, notamment l’occident. Cette période succède à deux mille ans, voire plus, de culpabilisation de l’individu et le christianisme en a été un des vecteurs les plus actifs, en véhiculant le concept du « péché originel ». Face à l’effondrement des idéologies, à l’essoufflement des valeurs « des Lumières », les jeunes générations s’interrogent, à juste titre, sur le sens de la vie, comme l’ont fait bien des générations avant eux. A la différence, peut-être que pour les générations précédentes et tout au moins la mienne, il y avait l’espoir que, pourtant, les deux conflits mondiaux auraient dû, en toute logique anéantir à tout jamais. Curieusement, au contraire, ces deux conflits ont fait naitre, dans les pays occidentaux au moins, la période de solidarité la plus extraordinaire qu’ait connue l’humanité : assurance maladie, assurance vieillesse, mutuelles, allocations familiales, congés payés, comités d’entreprises et tant d’autres avancées sociales. Mais La chute du rideau de fer, la mondialisation et la financiarisation de l’économie sont venus fragiliser ce bel édifice, voire même le remettre en question. Alors quand le bateau coule, pourquoi ne pas d’abord penser à soi et aux siens ?

Et puis, dans une société qui va trop vite, il est légitime de vouloir s’arrêter pour penser à soi ou plutôt pour entrer en soi. Déjà du temps de la Grèce antique, il était inscrit au fronton du temple d’Apollon à Delphes : « Connais-toi, toi-même ». Le Bouddha ne nous invite-t-il pas lui aussi à entrer en nous-mêmes pour atteindre la vérité ? Le Christ ne s’est-il pas retiré maintes fois de la foule et de ses disciples pour se ressourcer ?

Alors à la suite de tous les grands philosophes antiques, stoïciens, épicuriens, socratiques, à la suite du Bouddha, de Jésus le Christ et des prophètes, à la suite de Montaigne et de tant d’autres, j’oserai dire qu’il n’est pas interdit et qu’il est même recommandé de prendre soin de soi, dans le sens d’ entrer en soi, première étape vers une vie bonne. Mais prenons garde aux « marchands du temple » à tous ceux qui veulent nous vendre du « bien-être » à emporter, sans effort et découplé de toute spiritualité.

La question corollaire était : « Que gagne-t-on à penser positif ? » comme si prendre soin de soi amenait automatiquement à penser positif. Et que signifie « penser positif » ? Je ne sais pas. Cette notion me semble ne pas avoir de sens, le  «  positif » étant éminemment subjectif. Par contre, on peut dire que l’on gagne beaucoup à trouver le temps d’entrer en soi, à faire le vide pour mieux penser, et peut-être, penser juste.

Je dirai, en conclusion, que savoir prendre soin de soi est nécessaire pour s’oublier ensuite. Mais ce n’est qu’un début, un prélude à ce que les philosophes appellent « une vie bonne ».

 

Agir pour prendre soin des autres ; pourquoi développer la vie associative ?

Peut-être vous souvenez vous de ma précédente chronique à propos de la première des trois conférences de l’été 2014 qui s’est tenue au temple d’Etretat sur le thème «  Agir pour prendre soin de soi ; que gagne-t-on à penser positif ? » Je vous proposais une « saison 2 ». Eh bien, chose promise, chose due, voici le second volet de la série à propos de la seconde conférence qui avait pour thème cette fois : « Agir pour prendre soin des autres » suivi d’une question corollaire : « Pourquoi développer la vie associative ? »

En conclusion du premier épisode de la série, je disais en substance : « Pour se préparer à une vie bonne ou pour penser juste, comme disent les philosophes, il est nécessaire de savoir prendre soin de soi, au sens entrer en soi, pour s’oublier ensuite ». Avant d’aller plus loin, il me parait utile de préciser chacun de ces termes.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’une vie bonne ? Une vie bonne, au sens que lui donne les philosophes n’est pas une vie exemplaire ni une vie exempte de souffrances ou encore, une vie de jouissance et de bien être sans ombre ni nuage. Non, une vie bonne est plutôt une vie que je qualifierai d’accomplie, une vie dans laquelle je me suis réalisé, une vie dans laquelle, pour parodier Nietzsche, je suis devenu ce que je suis ou, encore, pour cette fois emprunter à André Gide dans les faux monnayeurs, une vie dans laquelle j’ai suivi ma pente en montant.

Ensuite, la pensée juste. Peut-on avoir l’outrecuidance de penser juste ? Oui, si l’on comprend par penser juste, penser en toute honnêteté intellectuelle, après s’être documenté, avoir appris, avoir réfléchi, après avoir écouté les autres et s’être gardé de tomber dans le raisonnement sophiste ou la dialectique verbeuse.

Enfin, entrer en soi pour s’oublier ensuite. Un des moyens d’atteindre ces deux objectifs, la vie bonne et la pensée juste, est d’entrer en soi par la méditation et la réflexion en sachant se réserver des instants de silence et de solitude, loin des agitations du monde, en laissant parler sa voie intérieure. Mais, pourquoi s’oublier ? D’abord pour éviter de souffrir. Ensuite pour éliminer tous les parasites du MOI qui m’empêche de penser juste. Enfin parce que je ne suis pas seul au monde et qu’il y a l’autre, celui qui m’est proche mais aussi tous les autres, mes semblables, et plus largement, tous les êtres vivants, animaux et végétaux et plus largement encore, toute la création. Quant à moi, je ne suis, au fond, qu’un épiphénomène. Le lien entre les trois conférences, Prendre soin de soi, Prendre soin des autres, Prendre soin de la Planète trouve là tout son sens et dès lors la logique des trois questions apparaît dans toute son évidence.

Avant d’agir, il peut être utile de réfléchir à ce que signifie prendre soin des autres. Qu’attend l’autre de moi ? L’autre n’est pas un objet, il n’est pas un animal de compagnie, l’autre est, comme moi, un être pensant, un être conscient, un être libre et respectable.

Première question à se poser : l’autre celui dont j’ai décidé de prendre soin, souhaite-t-il, lui, que je prenne soin de lui, dans quelle limite et avec quelle réciprocité ?

Deuxième question : quelle est la part de mes motivations affichées et celle de mes motivations cachées ? Qu’est-ce que j’attends de mon action ?

Ils sont légions, dans l’histoire, ceux qui ont voulu le bien des autres et qui par idéal ou par orgueil, vanité, voire, mégalomanie n’ont produit que désolation, haine, violence, terreur et totalitarisme. Comme dit la sagesse populaire ; « L’enfer est pavé de bonnes intentions ». Et sans chercher dans ces extrêmes dont l’histoire regorge d’exemples, combien d’incompréhensions, de non-dits, de petites maladresses dans les relations du quotidien que ce soit dans les familles, les entreprises, voire même, les associations ou les relations sociales ordinaires, combien de ces manques de discernement, de ces bonnes consciences qui, au final, génèrent des frustrations, du mal être quand ce n’est pas de la haine. Car le problème est là. Dans les relations à l’autre, il y a trop souvent un dominant et un dominé. Il y a l’adulte et l’enfant, le patron et le salarié, le médecin et le patient, celui qui sait et celui qui ne sait pas, le riche et le pauvre, celui qui prend soin et celui qui est soigné, celui qui donne et celui qui reçoit. Et souvent, à mon corps défendant, j’apparais comme dominant aux yeux de celui que je souhaite aider et, alors, la chaine infernale du malentendu se met en branle, qui aboutit inexorablement à l’incommunicabilité entre l’autre et moi. C’est, à l’évidence, le cas dans les relations internationales Nord-Sud, entre pays riches et pays sous-développés ou en voie de développement, comme on dit aujourd’hui pudiquement. Mais c’est aussi le cas quand, par exemple, il est devenu de bon ton de qualifier « d’assistés » les bénéficiaires des minimas sociaux ou lorsque la bonne conscience occidentale invente « le droit d’ingérence » qui se transforme malheureusement, trop souvent, en une machine à fabriquer des humiliés.

Alors, faut-il ne rien faire et rester tranquillement dans son transat, les deux pieds en éventail de peur d’humilier son prochain ? Non, bien sûr.

Il y a plusieurs façons d’agir pour prendre soin des autres On peut choisir par vocation de devenir un professionnel du soin aux autres : Sapeur-pompier (encore que beaucoup soient bénévoles), Hospitalier, quel que soit la catégorie, travailleur social, enseignant, syndicaliste, pasteur… Et pourquoi pas homme politique ? On peut aussi choisir de militer dans une association caritative, ou devenir sauveteur en mer ou secouriste en haute montagne ou simplement maître-nageur. Mais on peut surtout, tous les jours, là où on est appelé, prêter attention aux autres, écouter, donner le coup de pouce au bon moment, échanger un sourire, tendre la main, pardonner, prendre le temps et puis accepter de recevoir, dire bonjour à son gardien d’immeuble, s’accorder une conversation avec la femme de ménage qui nettoie son bureau, simplement dire merci à l’employé municipal qui balaie son trottoir.

A la question : « Pourquoi développer la vie associative ? », je répondrai simplement par boutade : « Pourquoi pas ? » Mais ce qui me parait primordial, quel que soit le choix de vie que l’on a fait ou qui s’est imposé à nous, c’est d’adopter cette éthique quotidienne de l’attention à l’autre, dans le respect de la liberté de la personne, partout où l’on se trouve placé.

Enfin, rappelons-nous la grande découverte que nous fait partager l’apôtre Paul dans l’épître aux Romains à savoir que le « la justification » nous est donnée par la foi et non par les œuvres. Pour la foi, on peut en discuter, mais pour les œuvres, il y a là de quoi méditer, qu’on croit au ciel ou qu’on n’y croit pas.

Rendez-vous au prochain numéro pour la saison 3 de la série : « Agir pour prendre soin de la planète ; comment sommes-nous concernés ».

 

Agir pour la planète ; comment sommes-nous vraiment concernés ?

Nous avons conscience de la finitude de notre planète liée à celle de notre astre, le soleil, comme nous avons conscience de notre propre finitude et cette perspective du sablier qui se vide inexorablement, nous angoisse. La question n’est plus de savoir si cette marche vers l’explosion finale est programmée. Elle l’est. La science nous dit aujourd’hui avec quasi-certitude qu’elle est inscrite de manière irréversible dans l’histoire de l’expansion de l’univers. La question est plutôt de savoir si l’action humaine accélère artificiellement la course vers cette fin programmée ? Et dans l’affirmative, il convient de se demander dans quelle mesure l’homme est-il en capacité de ralentir cette évolution ?

  • La question primordiale est celle de la place de l’homme dans l’univers. Deux mille ans de christianisme et près de trois mille ans de monothéisme ont ancré dans notre subconscient que l’homme se trouve être placé par son créateur, au cœur de la création, dans une position privilégiée, comme, avant Copernic, la terre se trouvait être placée au centre de l’univers avec les astres s’ordonnant autour d’elle. Or au fur et à mesure que la science progresse, on comprend que l’homme n’est que le résultat d’un processus d’évolution dont il est, à ce jour, le représentant le plus complexe connu. Mais cela lui donne-t-il, pour autant, une place particulière ? Certes il est doué de la conscience la plus élaborée, au moins sur notre planète, et sans doute, à ce titre, cela lui donne une responsabilité particulière par rapport aux autres êtres vivants. Mais est-t-il, pour cela, meilleurs ou pire ? Il consomme, il pollue, il transforme, comme tout être vivant, même s’il le fait dans des proportions bien plus considérables que les autres espèces. Alors, assiste-t-on là, simplement, à la logique de l’évolution ou avons-nous affaire à un dévoiement « du projet divin » dont l’homme serait le seul responsable ? L’évolution doit-elle être nécessairement morale ? 
  • L’homme peut-il réellement quelque chose pour l’avenir de la planète ? N’est-t-il pas présomptueux, voire vaniteux de penser qu’il est capable de changer le cours des choses ? Quelle est la part de son déterminisme, quelle est celle de son libre arbitre ? Au regard des espaces infinis on peut, me semble-t-il légitimement douter de sa liberté d’action.
  • Enfin, il est permis de se demander si l’homme et la petite planète bleue qui l’accueille sont ils indispensables à l’accomplissement du projet de l’univers, si projet il y a,  ou s’ils ne sont qu’une étape du projet qui se poursuivra, de toute façon sans eux, sous l’effet des forces de vie ou de la puissance de vie chère à Nietzsche ?

A cette série d’interrogations, je proposerai les pistes de réflexions suivantes :

  • L’homme ne sauvera pas le monde seul, avec ses petits bras. Il ne le détruira pas non plus, même s’il parait être en capacité d’anéantir l’humanité. Tout jardinier vous le dira. Il suffit d’abandonner son potager pendant plusieurs semaines pour le voir se couvrir de toute une végétation qui n’attendait que cette occasion pour proliférer. Et « l’arbre aux quarante écus » n’a-t-il pas survécu à Hiroshima ? Pour participer à l’aventure de l’univers, il nous faut entrer, en toute modestie, dans un projet collectif, une intelligence collective qui nous dépasse et faire confiance aux forces de vie. L’univers aura un avenir ou n’en aura pas, cela ne dépend pas de l’homme. Il n’est qu’un acteur parmi bien d’autres.
  • Alors, faut-il pour autant attendre les bras croisés ? Il n’y a pas de règle et de réponse uniques. On peut, pourtant emprunter différentes pistes, mais en évitant surtout de faire de la morale. L’univers n’est pas moral, il est.

La première piste consiste à s’engager dans l’écologie politique ou militante comme les grands précurseurs, tels Jean Jacques Rousseau, René Dumont ou encore Jacques Ellul, nous en ont montré le chemin.

La seconde piste consiste à expérimenter concrètement dans la vie de tous les jours une autre façon de vivre, en ne prélevant que ce qui nous est strictement nécessaire pour vivre, en respectant chaque fois que l’on peut les autres êtres vivants, aussi bien animaux que végétaux, en partageant ce que l’on a reçu, en transmettant son savoir et son expérience et en se contentant des plaisirs qui sont à notre portée. En un mot, c’est la « sobriété heureuse » qu’expérimente et théorise Pierre Rabi dans son Ardèche d’adoption.

Et puis, on peut aussi contempler le monde, s’émerveiller de ses beautés, petites et grandes, remercier son créateur, si l’on y croit, pour ce qu’il nous donne à voir, sentir, entendre, pour l’air qu’on respire, le soleil qui nous chauffe, les fleurs des champs qui nous ravissent. On peut vouloir traduire toute ces choses dans la peinture, la sculpture, la musique, l’art des jardins, la littérature et que sais-je encore, afin que chacun ait accès à la beauté.

Et le secret est peut-être là : apprendre la beauté des choses, savoir la discerner partout, dans un visage, dans un sourire, dans une main tendue, un paysage, un chant, une nuit étoilée, de l’eau fraîche, pour faire partout reculer la laideur. Et comme le disait Dostoïevski, «  La beauté sauvera le monde »

Enfin, pour conclure, je vous propose d’écouter cette parole de l’apôtre Paul dans 1 Cor. v 25 :

 « La folie apparente de Dieu est plus sage que la sagesse des hommes

et la faiblesse apparente de Dieu est plus forte que la force des hommes »

 

Daniel Leclercq

 

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