Le corps humain est-il à vendre ?

Vaste question, qui englobe des problèmes de société : l’adoption, l’esclavage, la prostitution… et bien d’autres. Je n’évoquerai que les problèmes qui « relèvent » (?) de la médecine et de mon expérience personnelle.

LE CORPS GAGNE-PAIN :

Pour tout professionnel de santé, le rapport avec le corps est, aussi, « commercial » Ceci a toujours existé. En Égypte des textes rapportent les plaintes de patients qui s’estiment victimes de médecins incompétents ou malhonnêtes. Et de nos jours tout le monde connaît l’exploitation parfois abusive du corps par les professions médicales, paramédicales, les charlatans, les guérisseurs etc… Je n’insiste pas.

CONNAITRE LE CORPS HUMAIN :

Pour s’occuper du corps il faut le connaître. Une notion qui peut paraître évidente mais qui ne l’a pas toujours été et qui ne l’est pas encore pour tout le monde. En Occident, depuis l’antiquité le corps a fasciné chercheurs, artistes, poètes et penseurs. Il s’était agi tout d’abord de l’extérieur du corps, de l’enveloppe, puis rapidement on s’est intéressé au contenu de cette enveloppe. La dissection, longtemps interdite par l’Eglise, a atteint un niveau de perfection dès la Renaissance : « J’ouvris le corps » disait Ambroise Paré, chirurgien (et protestant inconditionnel) français.
L’intérieur du corps va révéler ses beautés et nous pouvons par exemple évoquer les dessins de Léonard de Vinci qui montrent cette fascination pour l’organisation du corps. Maintenant c’est la radiographie, l’I R M… qui suscitent la même admiration. Notons d’emblée que dès que l’on parle d’«organisation » interne, l’esprit humain est ainsi fait qu’il pense à l’«organisateur… » La question de Dieu n’est pas loin…
Et puis on a continué de progresser dans l’étude du corps. Elle s’est étendue à la structure intime des tissus qui le composent, à l’étude des fonctions des différents organes, et maintenant, nous en sommes à l’étude de la génétique : comment tel ou tel organe se forme-t-il, comment sa structure se transforme-t-elle à travers les générations, se transmet-elle, etc… ?
Quand on veut soigner le corps humain malade il est donc nécessaire de le connaître. C’est l’acquisition de cette connaissance qui rend les études de médecine si passionnantes. Cette connaissance a un prix. Il est normal que l’artisan, médecin, chirurgien, tout comme un cordonnier ou un garagiste soit payé de sa compétence.

VENDRE DE LA SANTE ?

Une fois que l’on a acquis une connaissance, forcément partielle, du corps, il faut utiliser cette connaissance pour tenter de traiter le corps malade : Le rôle du médecin est de remettre en état de marche les divers organes qui lui sont confiés. On lui confie un organe cassé ou défectueux. Il doit le réparer, ou, maintenant de plus en plus souvent, le remplacer : Les extraordinaires progrès techniques des dernières décennies, dans le domaine des remplacements d’organe, des prothèses, de la médecine assistée par ordinateur ont fait que la pratique médicale comme beaucoup d’activités humaines est sortie du cadre de l’artisanat. Elle échappe de plus en plus aux médecins, pour entrer dans le monde de l’industrie et être soumise, comme celle-ci, à des impératifs de rentabilité, de gestion des coûts, difficiles à analyser et surtout à maitriser. Ces considérations tendent à prendre une importance prépondérante dans les décisions « médicales »
La recherche médicale coûte très cher et les chercheurs, laboratoires pharmaceutiques ou autres, trouvent normal de tirer un bénéfice de leurs découvertes, ce qui en interdit l’accès aux plus pauvres (cas du SIDA dans le tiers monde par exemple)
Enfin les progrès techniques ont fait que l’on peut maintenant proposer à la vente un organe vivant (coeur, rein…) ou même un être humain complet (cas des greffes d’embryon, des mères porteuses).
Là encore la financiarisation de ces pratiques, qu’on l’approuve ou non, est inévitable, et est devenue une réalité quotidienne. Plutôt que d’essayer de l’éliminer, ce qui parait impossible, la recherche d’une certaine moralisation est souhaitable et, peut-être, possible.
Pendant longtemps il s’est agi de « vendre » de la santé. De plus en plus nous voyons que le corps humain, qu’on le déplore ou non, est maintenant entré comme une marchandise dans le système économique mondialisé. Pour que notre société reste une société humaine il importe qu’en ce qui concerne
le corps, comme en bien d’autres domaines, elle sache résister à la tentation du « tout commercial ».

Jacques Beurier

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