Souvenirs, souvenirs !

Nous avons des souvenirs de toutes sortes : plus ou moins lointains dans le temps, plus ou moins précis, plus ou moins heureux… Certains prennent une place particulière, correspondant à des évènements marquants auquels on se réfère car ils nous “disent” quelque chose d’important. Ce sont des souvenirs fondateurs, sur lequels on s’appuie pour bâtir une compréhension de soi-même, des autres, de la société, du monde. D’ailleurs, c’est bien souvent pour cela qu’on les convoque. La mémoire travaille le passé au présent, en fonction de nos problématiques d’aujourd’hui et de nos questions du moment. Quelque part, lire et relire son histoire permet de découvir son aujourd’hui et d’essayer de le vivre de la manière la plus pertinente possible.
Mais il y a un risque dans tout cela, qui est aussi un défi, c’est la tendance que nous avons à vouloir ré-écrire l’histoire non pas comme elle s’est passée mais comme il nous arrange aujourd’hui de la voir, pour mieux se complaire dans des choix présents. Non seulement la mémoire peut être sélective, mais elle peut aussi être déformante. Et ça ne va pas sans intentions cachées, y compris celles cachées à soi-même.
Une des grandes questions sociétales du moment est la place à laisser aux migrants qui viennent rejoindre – par divers moyens et pour diverses raisons – les terres de notre pays pour y habiter. Au-delà des débats très vifs et des manipulations jouant sur toutes sortes de peurs auxquels la question donne lieu, il parait clair que le sujet est sensible et donc qu’il nous touche de près, même si nous ne savons pas toujours exactement où.
“Vous aimerez l’immigré, car vous avez été des immigrés en Egypte“ (Deutéronome 10,19).
Ce verset est représentatif d’une ligne de pensée qui me parait tout à fait importante dans la Bible : la place laissée à l’immigré doit l’être en écho à l’expérience de vie en immigrés faite par le peuple de Dieu, expérience douloureuse car aussi synonyme d’oppression et d’esclavage. Avec la consigne (“vous aimerez…”) est  convoqué le souvenir (“car vous avez été…”), comme argument.
Le rappel semble nécessaire car si le souvenir est douloureux, il est aussi à garder intact. Il est la mémoire d’une des facettes de notre humanité : une fragilité humaine expérimentée qui fait qu’il y a quelque chose de moi que je peux reconnaître en cet autre, ici “l’immigré”. Notre humanité est partagée, nous sommes tous enfants d’une même terre, tous enfants d’un même Père.      

Emmanuel Rouanet, pasteur

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