Table-ronde l’être humain n’est pas à vendre

Table ronde « l’être humain n’est pas à vendre » :

Regards croisés d’acteurs de terrains avec Jacques Beurier et Patrick Mériat.

En partant de nombreux exemples puisés dans l’histoire de la médecine et dans l’actualité, Jacques Beurier a démontré que partout et depuis toujours le corps humain s’est retrouvé à vendre, traité comme une marchandise, un objet économique. En particulier, depuis que la médecine sait pratiquer des greffes, l’existence d’un commerce légal ou clandestin des organes humains est possible. Bien entendu, pour contrer les abus, un arsenal éthique et législatif existe au niveau international et la France en imposant le don anonyme et gratuit a certainement posé un des appareils juridiques les plus solides pour sécuriser et encadrer les situations des donneurs et des receveurs. Malheureusement le trafic d’organes pour les greffes est toujours avéré et documenté dans le monde contemporain jusque dans des pays proches du nôtre. Le monde est déséquilibré et inégalitaire et tant qu’existeront des populations riches en recherche de guérison et ayant les moyens de désirer leur bonne santé plus que tout et des criminels en capacité d’abuser de gens désespérés le problème ne sera pas éliminé.

Ce constat mène alors à réfléchir à l’importance attribuée à la santé dans les mondes développés et vers d’autres interrogations qui semblent émerger actuellement. La bonne santé n’a pas de prix mais elle a un coût et qui est prêt à payer ce coût ? Le système français de communauté solidaire est de plus en plus cher et sa pérennité ne sera peut-être pas assurée sur le long terme. Désormais, la pression économique pousse des gouvernements ou des institutions à se poser franchement la question du coup économique de certains gestes médicaux pour certaines populations (personnes âgées, personnes handicapées, etc.) éveillant alors dans nos mémoires les mauvais souvenirs des pratiques eugénistes de nos histoires anciennes et contemporaines. Le corps humain en bonne santé a bel et bien une valeur économique dans le monde actuel, un prix, que nous pouvons encore payer mais pour combien de temps ? Avec la conscience des risques et des débordements possibles, il est impératif d’anticiper dès aujourd’hui l’évolution nécessaire du système en posant des réflexions et des jalons éthiques et juridiques, moraux et légaux afin de ne pas laisser les décisions s’imposer au regard des seules contraintes économiques.

Le second intervenant, Patrick Mériat, en s’appuyant sur son expérience de représentant du personnel en entreprise, s’est interrogé sur la valeur de l’être humain au travail. L’être humain dans son activité professionnelle ne cherche pas seulement à échanger sa force de travail, du temps et des compétences contre un salaire. Quiconque s’est retrouvé confronté à des périodes de chômage s’en rend rapidement compte : le travail répond aussi à des besoins de reconnaissance, de statut, de lien social et d’accomplissement personnel dans une activité qui satisfait ses valeurs et lui donne du sens. L’être humain au travail a besoin de trouver un équilibre entre ce qu’il donne et ce qu’il reçoit. Lorsque cet équilibre est rompu, l’humain se fragilise et le plus souvent sa santé est mise en danger. Si l’on peut se réjouir de la baisse très sensible désormais des accidents du travail car les entreprises, encouragées et surveillées, ont mis en oeuvre les moyens de protéger les salariés, l’enjeu est désormais de prévenir et empêcher les maladies professionnelles et les troubles mentaux du comportement liés aux malaises psychosociaux au travail qui tendent à augmenter dangereusement. Les bouleversements modernes des conditions et des organisations du travail auxquels se sont ajoutées les tensions dues aux récentes crises financières engendrent des pressions de plus en plus fortes sur les salariés qui ont de moins en moins de moyens et de liens sociaux pour se sécuriser dans le milieu professionnel. La reconnaissance et le respect du travail effectué n’est plus la valeur de référence. Tout est jugé au résultat immédiat et à l’aune de la productivité. La valeur propre de l’élément humain a disparu dans le travail et seule la valeur de rentabilité est considérée, ce qui est difficilement acceptable pour les salariés qui en réaction se retrouvent en situation de souffrance psychologique.

Mais cette perte définitive de la valeur humaine du travail n’est peut-être pas inévitable. Face à l’augmentation de ces situations d’isolement et de malaises, comme pour les accidents, les employeurs vont devoir prendre leurs responsabilités mais au-delà, certains exemples innovants semblent indiquer qu’une voie de prise de conscience et d’évolution, reconnaissant comme prépondérante la richesse humaine pour le développement, est en émergence.

En conclusion Marion Heyl en constatant que revenait dans les deux interventions le mot productivité a regretté que l’être humain soit si souvent défini par sa productivité et a préféré revenir aux approches de la foi chrétienne pour appréhender la valeur de l’être humain. Les textes bibliques rappellent que l’être humain est à l’image de Dieu et enfant de Dieu et cette perspective peut changer la réflexion sur ces questions et ramener la valeur de tous les hommes à l’égalité de l’amour de Dieu pour chacun d’eux.

Ce week-end thématique s’est achevé le lendemain par un culte animé par Olivier Arnera et ses partenaires de la compagnie marseillaise Sketch’up autour d’un verset du Psaume 8 « Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui (Psaume 8,5) ». Dans sa prédication, Olivier Arnera a rappelé que c’est la seule fois dans la Bible que cette question est posée, et qu’elle est posée directement à Dieu. C’est une interrogation qui ouvre de nombreuses réflexions à portée philosophique mais qui est avant tout une question de croyant qui ramène à la valeur de l’homme, création de Dieu à son image, aux traces de Dieu en lui et à sa capacité à se laisser transformer peu à peu vers sa ressemblance au Christ.

Clemence Poivet-Ducroix

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