La plaine de la Ruzizi et le village de Kiliba. Richesse et dénuement

Cette plaine, appartenant à la République Démocratique du Congo,  est un endroit stratégique qui s’étend sur des centaines d’hectares. Elle est extrêmement fertile. On y cultive le manioc, le riz, des arbres fruitiers (manguiers, bananiers…) des arachides… et de la canne à sucre. Elle se trouve à la frontière du Rwanda et du Burundi, deux petits pays surpeuplés très dynamiques économiquement et qui n’ont qu’un but : s’étendre. Par exemple : le Rwanda possède tellement peu de terres arables que même le bord des routes est cultivé (haricots).

Cette plaine a vu passer toutes sortes de peuples qui allaient vers l’Est : la Tanzanie (Zanzibar, Dar-es-Salam), le Kenya. Depuis plusieurs dizaines d’années, à cause des guerres, sont arrivés des ressortissants du Rwanda et du Burundi (déplacement de populations et massacres). Si l’histoire de la RDC vous intéresse, vous pouvez lire un livre très clair et très bien documenté : « Congo, une histoire » David Van Reybrouck, Editeur Actes Sud 2012, 28 €.  Un autre,  écrit par un chirurgien gynécologue (chirurgie réparatrice) de Bukavu : le docteur Denis Mukwege, un des noms souvent présentés comme « nobélisable » par la presse pour le prix Nobel de la Paix 2014 : PANZI  Editions du moment, 2014, 16,50 €.

HISTOIRE RECENTE

Dans les années 1930 Les colonisateurs belges ont créé  dans la plaine de la Ruzizi, une sucrerie sur le lieu-dit Kiliba. Ils ont planté des dizaines d’ha de canne à sucre et ont installé une usine.  Le sucre de Kiliba était renommé dans tout le Congo pour sa qualité. Sa production était si importante que l’usine a employé jusqu’à 4 000 personnes.  Kiliba est devenu un vrai village où les habitants avaient du travail et gagnaient bien leur vie. Tous les villages à l’entour étaient envieux de la prospérité de ce village.

La CEPAC (Communauté des Eglises de Pentecôte en Afrique Centrale en relation aujourd’hui avec la Fédération Protestante de France) a envoyé le pasteur Ruighita homme particulièrement respecté (père du pasteur Majagira Bulangalire aujourd’hui pasteur de Kiliba) pour créer une Eglise dans ce nouveau village. Il a commencé par construire un hôpital,  une école puis le bâtiment de l’église. C’est le village que nous connaissons encore aujourd’hui.

Les villageois vivaient bien jusqu’au jour où la sucrerie qui s’étendait  dans la plaine de la Ruzizi a été pillée et démantelée  pendant la guerre de 1995, et où les champs de canne à sucre ont été dévastés. Leur outil de travail  a été détruit et le village s’est retrouvé dans le dénuement le plus total. En effet, la sucrerie avait développé une monoculture et une mono-industrie et les villageois jusqu’à ce jour rencontrent beaucoup de mal à se reconvertir. On peut comparer ce désastre économique (sans parler des dévastations, des crimes et des viols)  à celui qui est arrivé en France (bien sûr dans un autre environnement) dans le Nord avec la fermeture des mines de charbon et dans l’Est avec celle de la sidérurgie. Pendant ce temps de « vaches grasses », les hommes du village rapportaient de l’argent à la maison,  leurs familles achetaient tout ce dont elles avaient besoin et avaient perdu  l’habitude de cultiver les champs comme seule subsistance. Les autres villages à l’entour, par contre, ont bien été obligés de se prendre en main. C’est ainsi que le village de Sange (15 km de Kiliba) a planté des arbres fruitiers, a élevé du bétail, a appris à produire des  laitages d’excellente qualité etc… Bref, ils sont devenus autonomes économiquement tandis que le village de Kiliba s’est retrouvé complètement démuni, pillé et a régressé jusqu’à vivre selon l’économie de subsistance.  Les ouvriers de la sucrerie ont  pris ou repris des habitudes ancestrales (domination masculine, travail de la terre par les femmes…).

LA VIE A KILIBA AUJOURD’HUI

 Kiliba subit depuis maintenant plusieurs décennies un déséquilibre de son économie et de sa population. Une grande partie des hommes sont morts de la guerre et/ou du SIDA. Nombre de femmes se retrouvent seules à élever leurs enfants. Heureusement aujourd’hui les enfants ont grandi et la nouvelle génération redonne vie au village.

Mais la guerre n’en finit pas. Depuis 1959, la population vit en continu dans un contexte d’incertitude et de violence. C’est ainsi que les milices réfugiées dans les plateaux au dessus de Kiliba viennent encore en 2014 importuner, voler, violer, tuer les habitants de Kiliba et de ses environs. Il est impossible par exemple d’accéder à certains villages car on risque la prise d’otage ou la mort.

Bien que les villageois cultivent les pentes raides des montagnes, la grande et riche terre arable est bien sûr la plaine de la Ruzizi. Mais les terrains n’ont jamais été correctement répertoriés par l’administration congolaise, ce qui fait que les habitants ont rarement la preuve que les champs, propriétés ancestrales, appartiennent bien à leurs familles. De plus, comme la situation est instable, beaucoup ont préféré cultiver des parcelles près du village où ils se sentent plus en sécurité. Ce qui fait que beaucoup de terres vacantes ne le sont pas pour tout le monde, en particulier pour des frontaliers burundais et même rwandais. Le pasteur Majagira Bulangalire met tous ses efforts en tant que député de la région d’Uvira-Kiliba-Sange pour faire passer une loi à l’Assemblée Nationale à Kinshasa (capitale de la RDC) pour qu’il y ait un recensement des terrains, que ceux-ci soient répertoriés sur le cadastre et que les propriétés soient reconnues par un acte notarié comme cela a été réalisé il y a quelques années au Rwanda.

Voici  en quelques traits la situation économique et politique actuelle de ce village. Situation difficile où l’équipe de volontaires, emmenée par le Docteur Jean-Marc Bineau oeuvre depuis 2001.

Mais pourquoi, me direz-vous, continuer à  s’occuper des habitants de ce village ? Le bilan a déjà été fait. Pourquoi ne pas s’intéresser à un autre projet, choisir un autre pays, une autre problématique ? Pourquoi vouloir donner un nouveau souffle en créant une association « les amis de Kiliba » ? N’avons-nous pas beaucoup donné financièrement, personnellement ou « consistoirement » ? Les projets n’ont pas toujours abouti comme nous le souhaitions ! Cela n’a pas et n’est toujours pas un long fleuve tranquille ! Et puis, pourquoi s’intéresser à une Eglise qui est plutôt une cousine qu’une Eglise sœur ?

Je n’ai qu’une seule réponse à toutes ces questions. C’est une chance extraordinaire pour nous, français, paroissiens de la Région Nord Normandie ET habitants de Kiliba de cheminer ENSEMBLE depuis 15 ans. Les habitants de Kiliba ne sont pas une entité impersonnelle pour nous et eux pour nous. Des milliers d’entre eux ont été soignés ou opérés par docteur J.M. Bineau et son équipe médicale.  Nous connaissons bien la structure administrative du village (ce qui a demandé beaucoup de temps !). Nous avons tissé des liens très forts.  Vous-mêmes,  connaissez certaines personnes de Kiliba par leur nom : docteur Jean-Paul, infirmier Cadeau, pasteur Philémon, mama Tulizo… Nous développons des projets AVEC eux, à partir de leurs demandes.  Nous voyons ces projets évoluer, certains s’arrêter… Nous participons dans la mesure de nos moyens et pas seulement pécuniaires  à l’autonomie du village et de ses habitants.

Comment comprendre que le temps ne se déroule pas de la même façon en Occident et en Afrique surtout quand on ne sait pas si on va manger et donner à manger à sa famille le lendemain. Comment alors aborder avec notre pensée qui se veut cartésienne, les projets tels que les villageois nous les présentent ? Comment comprendre ce qui est pour eux essentiel ? Quel « coup de pouce » donner ?  De quelle façon ?  Comment comprendre leur foi en Jésus-Christ dans un contexte où il n’y a pas ou peu de futur et où chaque faux pas se paie au prix fort. Comment répondre à cette relation humaine souhaitée, désirée par eux dans le rapprochement de leur Eglise et de la nôtre ?

Comment nous approprier tout ce que ces gens peuvent nous apporter en cheminant avec eux en toute modestie, en toute amitié et en toute fidélité devant notre Seigneur Jésus-Christ ?

La fois prochaine nous parlerons de la vie des habitants de Kiliba,  le travail que nous avons effectué ensemble, leurs projets, et dans quelle mesure nous avons essayé d’être AVEC EUX un agent du changement pour le bien de tous. Ceci en toute modestie. Et continuer ce chemin qui nous grandit.

Pour ceux que cela intéresse, nous venons de créer une association à l’adresse suivante : lesamisdekiliba@gmail.com   Nous essaierons de répondre à vos questions si vous le souhaitez.

Martine DURAND

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