Message du président du conseil régional

Une Eglise vitrail, une Eglise de passeurs de lumière

Chers Amis,

Voilà, nous sommes réunis pour ce deuxième synode de notre région Nord-Normandie et je suis très heureux de vous y accueillir. Je comprends combien certains ont peut-être de la fatigue au fond des yeux, je comprends aussi que la luminosité de cette salle n’aide pas à les laisser totalement ouverts !

Et pourtant, et pourtant cette salle au cours du synode nous réservera quelques surprises*. Et elle nous aidera à cheminer depuis le message de l’année dernière où nous avions parcouru un chantier. Nous avions essayé de nous poser la question de quelles fondations pour notre région, quels murs maîtres à édifier, sur lesquels nous allions pouvoir poser, appuyer, reposer les murs qui allaient définir l’espace de nos vies d’Eglise, de nos activités, de notre mission. Et dans ces murs, nous avions veillé, rappelez-vous, à laisser des portes et des fenêtres, des portes et des fenêtres si importantes pour rejoindre le monde et laisser le monde nous rejoindre, pour faire en sorte que l’air circule, pour que puissions aller d’une mission à l’autre, d’une activité à l’autre, d’une Eglise locale à l’autre, d’un consistoire à l’autre. Des portes et des fenêtres aussi pour se donner la possibilité d’accueillir celui qui passe, celui qui a besoin de faire une pause, de recevoir une écoute, et cela par grâce, gratuitement, contrairement à beaucoup de portes de notre société, où l’on entre facilement et où il est demandé quelque chose, avant de sortir pour payer le temps, payer le temps passé à la rencontre ou encore et c’est bien normal le service rendu.

En visitant cette salle, mais en prenant le temps aussi de visiter, comme certains d’entre vous le feront à la fin du synode, la cathédrale de Reims, je me suis dit : voilà une bonne idée pour nos fenêtres, pour les fenêtres de notre maison. Parce que notre maison est celle de l’Eglise, Eglise de témoins et je rajouterais de témoins passeurs de lumière. Car qu’est-ce que témoigner de l’Evangile si ce n’est d’essayer de faire passer une lumière que l’on a reçue, que l’on ne peut nous-mêmes créer, que l’on ne peut nous-mêmes éclairer, mais que seul Dieu fait rayonner, donne, nous transmet pour que nous puissions la passer. Une Eglise de témoins, passeurs de lumière, c’est quelque part un vitrail.

Aussi, je voudrais vous inviter à une petite visite-parabole pour notre vie d’Eglise et pour notre région. Visiter un lieu qui est souvent gardé secret, où il n’y a comme ici pas trop de lumière, où l’on parle peu, où l’on prend le temps. Un lieu où il se passe beaucoup de choses mais aucune des choses qui se passe dans ce lieu n’est pour le lieu en question. Je vous invite à visiter avec moi l’atelier des maître-verriers, ces hommes ces femmes, – il y en a quelques unes –, qui essaient de percer le mystère du verre, du travail du verre au service du passage de la lumière. Les maîtres verriers vous le diront, aucun d’entre eux ne détient la vérité absolue du mystère du travail du verre. Mais chacun essaie d’expérimenter quelque chose pour nourrir cet art, cette tradition du travail du verre au fil des siècles. Il y a plusieurs méthodes. Avant d’entrer dans l’atelier, je vous en citre trois : la méthode au plomb, qui nous vient du Moyen Age, la méthode dalle de verre, qui est moins connue, et la méthode Tiffany, qui est la dernière du XIXe siècle et qui nous vient des Etats-Unis. L’atelier que je vous invite à visiter utilise la méthode au plomb. Alors faisons silence, car il ne faut surtout pas les déranger, les perturber et regardons ce qui se passe.

Il y a près de la porte d’entrée un premier établi. Un homme est là, un crayon à la main. De ce crayon, parfois, il se gratte la tête, il en mordille le bout, et de temps en temps sur le papier avec lui, un trait est dessiné. L’homme fait sa maquette. Il essaie tant bien que mal, comme il peut, il essaie de faire apparaitre sur le papier un message qu’il a au plus profond de lui-même, parce qu’on lui a demandé peut-être, parce qu’il en a envie. Il essaie de faire passer l’élan de son imagination, de sa créativité, dans un coup de crayon, et pour cela il médite, il a besoin de silence, de calme. Il est à sa table, et longtemps il va travailler. Et la maquette petit à petit va apparaître. Un dessin qui dira quelque chose. Et pourtant, il est là, travaillant à l’aveugle, car que sait-il de la finalité de son travail. Un simple dessin, une maquette.

Au deuxième établi, c’est étonnant, mais le tabouret est vide. Le maître-verrier n’est pas au travail. Et pourtant à cet atelier il se passe quelque chose de très important. C’est le temps de la coloration. La coloration dans l’art du maître-verrier, ce n’est point mettre des couleurs. La coloration, c’est prendre le temps de quitter l’atelier et d’aller vers le lieu d’implantation du vitrail. Car le maître-verrier est un des seuls artistes qui travaille en fonction du lieu d’implantation de son œuvre. Le peintre ne se soucie pas du mur sur lequel sera posé son tableau, il peint. Le sculpteur ne se soucie pas du meuble qui portera sa sculpture, il sculpte. Le maître-verrier a un impératif : le lieu où sera posé son œuvre. Il prend donc le temps de la coloration, d’aller voir ce trou béant dans le mur qui bientôt sera habillé de lumière et fera passer un message. Et là, il s’assied, généralement le 21 juin, afin d’enregistrer dans sa tête la courbe du soleil, l’inclinaison de ses rayons, car la vie de son œuvre dépend de cela, pas de son travail dans l’atelier, mais de la courbe du soleil, de l’inclinaison de ses rayons. Alors, il prend ce temps de sortir et d’aller sur le lieu d’implantation. Il reviendra avec cela dans sa tête et il pourra s’asseoir sur le troisième établi, celui du carton et des tracés, celui où il va faire à l’échelle 1 son dessin. Ce ne sera plus une maquette. Ce sera la reproduction de la fenêtre qu’il a vu. Et là, il va redessinner non pas un dessin, mais des morceaux de dessin, chacun ayant sa forme. Il va le faire en fonction de la coloration, en fonction de la courbe du soleil qu’il a dans sa tête. Et comme pour lui donner toute sa valeur, pour que le vitrail ait tout son éclat, il va faire un tracé plus ou moins épais entre chaque morceau de son dessin. Travail long et laborieux, qu’il va reproduire sur un calque, et sur le calque enfin vont apparaître les couleurs, des numéros pour pouvoir se repérer plus tard, car le calque sera la mémoire de l’œuvre.

Jusque-là pas un bruit. Des hommes qui travaillent en silence, à l’aveugle, et pourtant au service du passage de la lumière, au service d’un message à délivrer à d’autres. Le calque fait, nous arrivons sur un atelier pour les forts en mathématiques. C’est le calibrage, le moment où il va falloir réfléchir à la densité du verre, au filage du plomb, au poids final de l’œuvre, mais aussi à la tension que cette œuvre va exercer sur les linteaux de la fenêtre, sur le mur. Le temps du calibrage, mystère de l’équilibre, mystère des adéquations entre le filé d’un verre, l’éclat d’un plomb. Une bulle dans le verre peut servir pour l’œil d’un ange ou d’un oiseau. Il faut tout calibrer. Ce travail est minutieux, la moindre erreur de calcul peut mettre en péril la totalité de l’œuvre, du temps passé à l’aveugle dans l’atelier des maîtres-verriers. Une seule erreur, un seul déséquilibre, et le trou béant du mur restera trou béant et ne pourra jamais porter ou supporter un vitrail, un message, où la lumière librement pourra passer.

Il est long le temps du calibrage. Il se termine enfin. Et voilà que maintenant dans l’atelier, sur ce nouvel établi, il y a du bruit parce que l’on coupe, on découpe. C’est le moment de la coupe et de l’assemblage. C’est le moment où l’on coule le plomb, où la chaleur monte. C’est le moment où il n’y a plus de solitude pour les petits morceaux de verre, mais où il y a ce lien qui se fait et qui va relier les morceaux de verre les plus éloignés les uns des autres. Un seul fil de plomb. En effet, lorsque vous regarderez un vitrail, il y a une multitude de morceaux de verre bien distincts, mais un seul fil de plomb entre les uns et les autres.

Oui, le vitrail commence à prendre forme, le vitrail commence à prendre vie. Mais voilà, il faut essayer de donner à la lumière toute sa chance pour que le vitrail traduise bien le message. Alors sur l’atelier suivant, on va faire un peu de peinture, non pas pour peindre le verre, il a déjà été fondu avec ses propres pigments, mais pour rajouter sur le verre le détail du pli d’une robe, le détail de l’aile d’un oiseau, le détail d’un nuage dans le ciel. Ce trait de peinture qui donnera tout l’éclat du vitrail se fait avec une mixture qui s’appelle grisaille. C’est le temps où les contrastes, où les opposés se marient au service d’un message, au service du passage de la lumière. Oui, le maître-verrier met la grisaille au service du passage de la lumière. Oui, le maître-verrier met la grisaille au service de l’éclat de la lumière.

Enfin, une ultime étape dans l’atelier des maîtres-verriers, une ultime étape si importante, celle de l’étanchéité. On va simplement badigeonner sur ses deux faces le vitrail, afin qu’il puisse résister à l’épreuve du temps et que son témoignage éphémère, celui qui se vit au rythme de la lumière qui passe, puisse alors lui passer les siècles, passer les générations.

On a presque terminé. Il faut encore un voyage. Le vitrail le fera dans le noir, enveloppé de couvertures pour qu’il ne se brise pas. Il sera lui mis à l’aveugle, mis au secret, mis au silence. Enfin, il sera posé sur le trou béant d’un mur. Enfin, le maître-verrier pourra s’asseoir et regarder à nouveau la courbe du soleil. Cette fois, pas d’éblouissement, mais une lumière colorée qui va le rejoindre. Un espace qui va s’élargir, car devenir vivant de lumière, car habité d’un vitrail et d’un message. Humblement, le maître-verrier se retirera. Il abandonnera son vitrail à celles et ceux qui vont passer dans ce lieu qu’il est venu visiter pour y poser son message, pour y offrir à la lumière de pouvoir être éclatante, vivante.

 

N’est-ce pas chers amis une belle visite-parabole que celle du travail des maîtres-verriers pour la vie de l’Eglise, pour la vie de chaque communauté locale, pour chacune de nos vies personnelles, pour la vie d’une région, pour la vie de l’Eglise à la dimension du monde, une Eglise de témoins, passeurs de lumière. Une Eglise-vitrail au service d’une humanité-vitrail.

 En Eglise aussi, chers Sœurs et Frères, nous avons besoin de ces temps où l’on essaie de faire passer du cœur au témoignage un message reçu, afin qu’il s’inscrive dans des projets, qu’il s’inscrive non pas dans des dessins, mais dans des gestes, dans des actes qui le disent pleinement et dont nous réalisons que seul le Christ peut leur donner leur vrai sens. Oui, seule la lumière du Christ peut donner son vrai sens à la mission de l’Eglise, à chacun de nos projets. Alors pour nous aussi en Eglise, il est important ce temps de la maquette. Mais ensuite prenons-nous toujours le temps de la coloration ? C’est pour moi et pour le conseil régional une réflexion que nous avons ouverte et que nous voulons essayer de mener avec chacun de vous. Ce temps de la coloration, de l’implantation, de la façon dont nous essayons de nous dire : où sont-ils ces lieux dans nos Eglises locales, dans notre région, qui ont encore de ces trous béants, ouverts au tumulte du temps, ouverts à toutes ces aspirations qui entrainent les uns et les autres vers des intégrismes, des fanatismes, vers l’antisémitisme, le racisme, la xénophobie, les engagements qui violent la dignité de l’être humain ? Où sont-ils tous ces lieux, aujourd’hui, près de chez nous, qui ont besoin ou qui n’attendent que nous pour que nous nous posions là pour offrir le vitrail que nous sommes à une lumière qui doit, qui souhaite, qui espère atteindre le cœur de celui qui passe ?

Osons-nous, aujourd’hui, nous poser réellement ces questions de nos lieux de vie, non uniquement les lieux de vie hérités du passé, mais des lieux de vie où aujourd’hui des populations sont en attente, sont en souffrance, sont dans la grisaille du temps, et n’aspirent qu’à une petite couleur de vie. Allons-nous avoir ensemble, – je ne vous rappelle que quelques messages anciens : l’audace, le courage –, de nous poser ces questions-là ? Allons-nous avoir foi, non en nos capacités, mais en l’œuvre de la lumière qui vient passer dans nos vies-vitrail ? C’est un enjeu. Et ce n’est que lorsque nous aurons pris le temps, que lorsque nous aurons fait cette analyse, que nous pourrons alors progresser ensemble sur les cartons et les tracés, sur les calques, sur tout ce qui va nous permettre d’être, et non pas de faire, d’être l’Eglise que le Seigneur suscite et attend. Oui, nous sommes appelés à être cette Eglise et non pas à la faire par nous-mêmes, mais à la recevoir et à lui laisser sa capacité à être.

Comme les maîtres-verriers, nous réaliserons alors peut-être parfois que nous sommes en mille morceaux. Comment recoller tout ça ? Combien de fois est-ce que je l’entends en visitant l’une ou l’autre des Eglises locales : « Ah, il nous manque des morceaux pour boucher tel trou ». Alors les morceaux, ça peut être une tuile ou un moellon, mais ça peut être quelques billets ou quelques chèques, et puis des fois ça peut être quelques personnes, quelques jeunes ou quelques moins jeunes. Ah oui, il nous manque toujours quelque chose. Mais s’il nous manque quelque chose, c’est que nous avons déjà quelque chose. Et si nous préférons parler du manque, c’est parce que nous manquons parfois d’imagination pour déjà organiser, structurer, donner sens à ce que nous avons.

Alors oui, il nous faut prendre ce temps que prend le maître-verrier de disposer, redisposer chacun des morceaux de vie, chacun des morceaux d’histoire, sachant que l’Eglise n’est pas la superposition de tous ces morceaux, mais qu’elle en est l’harmonisation. Et tous ces morceaux pour être Eglise ont besoin, comme le vitrail, de ce tracé de plomb, de ce lien de communion, de ce lien de fraternité qui fait qu’il n’y a plus mille morceaux de verre, mais qu’il y a un vitrail. Cet esprit de vérité, cet esprit de vie, cet esprit de paix qui fait notre communion et qui fait qu’il n’y a plus 41 associations cultuelles, X conseillers presbytéraux, X foyers participants à la vie de l’Eglise… Ce lien de communion, ce tracé de foi fait qu’il y a une Eglise. Qu’elle soit à Cherbourg ou à Sedan, il y une Eglise-vitrail.

Enfin, pour ne pas reprendre toutes les étapes, il y a un moment pour le maître-verrier qui je crois peut très bien être proposé à chacun de nous, se proposer à chacune de nos Eglises locales, à l’Eglise aussi dans la société. C’est le moment où le maître-verrier quitte le lieu où il a posé son vitrail, ce vitrail qui va traverser les siècles. On oubliera qui l’a fait, qui l’a posé là. On oubliera la sueur, les angoisses. On oubliera la joie de l’émerveillement à la première pose, mais on continuera à recevoir un message. La lumière trouvera toujours cet accès pour rejoindre celui qui sera là. Ce vitrail élargira longtemps, longtemps, longtemps l’espace sombre autrefois, car il l’habillera de couleur, de lumière, de vie. Et cela au rythme des saisons. Car le soleil d’hiver ne fera pas dire au vitrail la même chose que le soleil d’été.

Dans la vie de l’Eglise, il en est aussi de même. Savoir vivre et assumer ce temps de la pose, savoir laisser, laisser son œuvre dans les mains du Christ qui, de génération en génération, va en renouveler le message. C’est toujours très difficile, car cela nous oblige à un certain abandon, un certain détachement, nous qui sommes si attachés à la terre, au mur des ancêtres, à nos arbres généalogiques… Certes il nous faut cet enracinement. Mais il nous faut aussi ce courage de l’abandon pour voir naître devant nous l’Eglise d’aujourd’hui et non pas le mirage de l’Eglise d’hier. Car si le message du vitrail reste le même de génération en génération, son éclat jamais ne se répète à l’identique. C’est une œuvre apparemment figée dans le plomb, arrimée à un mur, et pourtant perpétuellement différente. N’en est-il pas de même pour l’Eglise, de génération en génération, porteuse du même message, dans des contextes certes bien différents, avec des visages si divers. Etre une Eglise de témoins, passeurs de lumière, vitrail d’éternité. Etre cette Eglise où nous avons toutes et tous notre place et où, par grâce, il y a une place pour tout être, tout homme, toute femme, tout enfant, tout handicapé de la vie, tout chercheur d’espérance. Etre cette Eglise-vitrail au prix de ce que cela veut dire de notre attention portée à l’autre, mais aussi de notre confiance dans ce tracé, non de plomb, mais d’amour et de fraternité.

Chers amis, lorsque les guerres éclatent, dans les communautés chrétiennes, on démonte les vitraux pour les mettre à l’abri. Et lorsque la paix, même si cela doit être éphémère, revient, on remonte le vitrail. Le vitrail traverse même les conflits. On lui apporte cette vigilance qui lui permet de ne pas tomber sous les coups. Cela vous sera dit dans la visite de la cathédrale de Reims. Cela vous serait dit aussi à Rouen, dans l’église Jeanne d’Arc, où les vitraux ont été préservés, remontés. Et il y aurait tant de lieux dans notre région où cela est vrai. En Eglise, nous traversons aussi des temps où les murs tremblent, où on a l’impression que tout va se briser, où tout est ténu. En Eglise, nous traversons aussi ces instants de la vie de l’humanité où tout tremble. Comment aujourd’hui ne pas vivre ce synode sans penser dans ce vitrail à tous ceux qui ne savent plus où poser leur vie, toutes celles et tous ceux dont la vie a perdu sa couleur. Celles et ceux qui sont en exil et qui ne savent où s’implanter. Celles et ceux qui ne savent pas ce que demain leur apportera. Comment vivre ce temps de synode si ce n’est en se posant cette question : comment notre synode est-il au service de notre mission pour aujourd’hui et pour demain ? Un synode n’est pas une chambre d’enregistrement. Nous sommes comme les maîtres-verriers, riches d’un message qu’un autre a déposé au fond de notre cœur. Nous sommes des maîtres-verriers que d’autres ont nommé pour dessiner, ébaucher, penser l’Eglise d’aujourd’hui. Nous sommes des maîtres-verriers, qui ne peuvent être ensemble ici qu’avec celles et ceux qui sont au-dehors, membres de nos communautés, membres des villes et des villages dont nous venons, membres de la société et de l’humanité. Nous sommes ces maîtres-verriers confrontés à la difficulté de trouver les justes adéquations pour que leur vie tienne, pour que la mission de l’Eglise au cœur du monde soit recevable et qu’elle porte fruit. Oui, nous avons aussi cette responsabilité de ne pas nous lancer dans des projets fous que nous ne pourrions tenir, ou qui ne pourraient tenir au cœur du monde, ou qui engageraient tellement les autres que les autres ne pourraient pas tenir et s’épuiseraient. Le maître-verrier maîtrise cet art-là de l’équilibre, de l’adéquation entre les moyens qui lui sont donnés, les conditions dont il n’est pas responsable et le message qu’il veut faire passer.

Enfin, ce vitrail que nous sommes, je crois qu’il est indispensable pour que nous soyons au-delà d’une Eglise de témoins, passeurs de lumière, vitrail d’Evangile, que nous soyons une Eglise en croissance. Oui une Eglise qui croit et qui croît, qui croit en Celui qui l’a envoyé et qui croît par grâce, par l’action de Celui qui l’accompagne. Alors, vous allez me dire, ça fait un peu bizarre de dire : on est une Eglise croit-croît. Mais j’aime quand même ce jeu de mots de l’Eglise qui croit et qui croît, qui croit encore et qui croît toujours. Oui, qui confesse encore, toujours, sa foi aujourd’hui, certains rajouteraient : malgré tout ce qui pourrait faire dire que Dieu n’existe pas. Je dirais personnellement : qui confesse sa foi avec tout ce qui fait dire aujourd’hui à certains que Dieu n’existe pas. Cette Eglise qui croît parce que le Seigneur ne l’abandonne pas, et qui accueille des hommes et des femmes qui la rejoignent pour un instant, pour une activité, pour un temps de partage, pour un engagement et parfois pour longtemps. Etre une Eglise de témoins, passeurs de lumière, vitrail de l’Evangile, pour être aujourd’hui par Christ, avec lui, une Eglise qui croit et qui croît.

Alors, nous ne serons peut-être plus les seuls à être traversés par la lumière. La société, l’humanité deviendront petit à petit, elles aussi, ce vitrail. Le lien de la fraternité humaine, petit à petit, se consolidera à nouveau. On retrouvera peut-être le geste simple du bonjour au voisin. On retrouvera peut-être ce regard simple qui dicte le geste de partage, la mission diaconale de l’Eglise. On retrouvera peut-être que les temps de paix ne sont pas des temps d’absence de guerre, mais qu’ils sont des temps de paix par grâce, qu’ils sont des temps de paix, parce qu’abandonnés à la lumière du Christ.

Chers amis, il est toujours difficile, ou en tous cas je le ressens comme cela, d’essayer d’apporter une parole qui tout à la fois accueille la diversité de ce qu’est une région, de ce que sont les Eglises locales, et d’apporter une parole qui en même temps rencontre chaque spécificité connue ou inconnue, car nous avons les uns et les autres nos mystères, tout comme le verre, qui parfois se prête bien au jeu de la lumière, qui parfois voit la lumière mettre en avant ses petits défauts, ses imperfections.

Alors c’est avec beaucoup de simplicité, beaucoup d’humilité, mais surtout avec beaucoup d’amour que j’aimerais nous exhorter, nous exhorter à nous mettre les uns et les autres en pleine lumière. Savoir s’exposer, non pour en mettre plein la vue, non pour s’étaler, mais simplement pour être signe. Et laisser alors la lumière du Christ mettre en nos vies le signifié, le sens. Cela j’aimerais nous y exhorter parce que la société nous pousse bien souvent à faire l’inverse, à nous cacher derrière nos murs pour bien définir ce que nous avons à dire, pour être sûr que cela ne pourra pas être contredit, ce n’est qu’ensuite que l’on risque une parole publique parce qu’alors justement on ne prend plus de risque. Oui, soyons comme ces petits morceaux de verre, exposés, abandonnés à la courbe du soleil. Vous verrez cela nous permettra de voir la vie en rose peut-être, mais en tout cas de découvrir la diversité de nos communautés, la diversité de notre région, et de se savoir unis par ce lien de communion, de Dunkerque à Alençon, de Creil à Maubeuge, de Granville jusqu’à Givet. Ah oui, Givet, eh bien j’y vais ! Mais aussi en passant par ces lieux qui sont peut-être plus mémorisables : Reims, Le Havre, Lille, Rouen. Mais pense-t-on à Bethléem ? C’est un petit village, Bethléem, dans la baie de Somme. De temps en temps, on y passe. Mais dans la vie de la région, qui sait qu’il y a le petit morceau de verre Bethléem ? Qui sait qu’il y a quelque part, dans une maison, à Givet, un petit morceau de verre qui prie, qui rayonne ? C’est cela le vitrail. Ce n’est pas Chagall qui le peint comme ceux de la cathédrale de Reims. Ce n’est pas la rosace bien ordonnée de Notre-Dame d’Amiens. C’est un vitrail alambiqué que la région Nord-Normandie. Que de découpes dans la mer, que de découpes dans la forêt des Ardennes, des lieux frontières que nous ne connaissons peut-être pas très bien.

Eglise de témoins, ici en chacun des lieux que vous représentez, vous l’êtes, par grâce. Passeurs de lumière, vous l’êtes par passion. Vitrail de l’Evangile, nous le sommes ensemble. Alors oui, que le Seigneur nous donne cette patience de la maquette, ce temps de la coloration cette sagesse du calibrage, cette précision de la peinture, cette joie de la contemplation, lorsque de son lever à son coucher, le soleil donne vie à nos vies, à la vie de l’Eglise, au vitrail de l’Evangile.

Oui que nous ayons, chers amis, cette joie d’être traversés par grâce, d’être rejoint par elle pour pouvoir rejoindre en son nom. On le chantait autrefois : «… moi dans mon coin sombre et toi dans le tien ». Mais « Je suis la lumière a dit le Seigneur… ». Nous laisser traverser, visiter par cette lumière, qui fait qu’il n‘y a plus de coin sombre et qui nous permet d’espérer et de croire que le Seigneur visite les coins sombres que nous n’osons pas visiter et que, là aussi, il pose un rayon de soleil, une couleur d’Evangile.

C’est peut-être tout cela la bénédiction de Dieu !

Reims, le 21 novembre 2014
Pasteur Olivier Filhol
Président du Conseil régional Nord-Normandie

*Le lieu où s’est tenu le synode n’est autre que l’ancienne chapelle du séminaire Saint-Sixte, aménagée en salle de conférence. Les tentures qui masquaient les murs le vendredi soir, ont été relevées le lendemain matin pour laisser apparaître une multitude de vitraux qui se sont animés durant la journée, au fil de la course du soleil…

Message enregistré et retranscrit par la suite

 Photos: Cathédrale de Reims,  Cathédrale d’Amiens, Eglise Jeanne d’Arc (Rouen)

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