Prédication (aumônerie synodale 15 novembre 2013)

Chers amis, c’est avec joie que je vous retrouve pour cette seconde session synodale dans votre région Nord Normandie afin d’en assurer l’aumônerie. J’ai choisi comme programme de lecture pour nous accompagner tout au long de ce synode, l’un de ceux proposés dans cette Bible œcuménique pour les jeunes, Ze Bible, Bible vendue soulignons-le au passage, en 2 ans à 66 000 exemplaires soit une de ces Bibles tous les 15 minutes de vendues. Le programme que j’ai retenu parmi les 24 proposés s’intitule : Oser répondre quand Dieu appelle. Nous pourrons ainsi nous arrêter plus ou moins longuement au cours de cette aumônerie sur 4 des 14 textes bibliques de ce parcours initialement prévu pour 7 jours. Mais rien ne vous empêche de reprendre évidemment ce parcours plus tard dans vos lectures personnelles de l’Ecriture et de prendre ainsi ces 7 jours.

Lecture

Pour l’heure, lisons le premier texte du parcours dans l’Ancien Testament, il s’agit d’un extrait du chapitre 12 du livre de la Genèse, les versets 1 à 4 :(Lecture Genèse 12, 1 à 4)

Prédication

Comment effectivement ne pas commencer notre parcours « Oser répondre quand Dieu nous appelle » avec cet appel bien connu d’Abraham. Comme lui nombre d’entre vous en venant vivre ces trois jours de travail synodal ont quitté eux aussi leurs repères, leurs habitudes, leurs familles mais rassurez-vous même si parfois certains moment d’un synode peuvent paraître long, votre déplacement dans le temps ne sera pas aussi long que celui d’Abraham. Et pourtant, j’espère que comme lui, nous sommes déjà prêts aujourd’hui à tout lâcher pour aller vers l’ailleurs, cet inconnu qui est devant nous mais avec Dieu.

Je trouve intéressant que ce lâcher prise que nous pose ainsi l’écriture ne nous vienne pas directement d’un jeune homme qui commence sa vie d’adulte et qui doit ainsi se lancer, comme on dit, dans la vie. Car en effet, il n’y a pas d’âge pour répondre à l’appel de Dieu, lâcher prise de nos ancrages, de nos habitudes, de nos repères, nous le savons c’est parfois plus difficile quand nous sommes installés depuis très longtemps dans notre situation de vie et peut-être aussi dans notre fin de vie, thème que nous aborderons durant ce synode. Notre texte biblique parle d’un Abram âgé de 75 ans, à relativiser cependant avec le père d’Abram, Térah 250 ans quelques versets précédents.

Sa situation, pour l’époque, m’a donc fait penser à ce film,désormais ancien, Tanguy qui racontait à sa manière la difficulté d’un jeune homme de plus de 30 ans à quitter ses parents. Rendez-vous compte alors, ici notre chez Abram, futur Abraham qui vit encore en famille pour l’époque dans la maison de son Père et à qui, à un âge peut-être similaire voir largement supérieur du héros de ce film, le Seigneur dit de partir. L’appel est extrêmement fort : le lâcher tout dont il est question c’est vraiment lâcher la sécurité d’une terre connue : son pays où en famille on s’est installé. C’est donc aussi une sécurité familiale, le Seigneur l’exhorte à partir de sa famille et de cette fameuse maison de son Père. Pour l’heure il ne lui dit pas clairement quel pays est sa destination mais il s’agit du pays que le Seigneur lui fera voir. Bref, hier comme aujourd’hui pas de quoi se précipiter dehors avec ses bagages sauf si on a le goût de l’aventure pour prendre la route, même si des promesses viennent se joindre à cette proposition comme nous venons de le relire : le Seigneur va faire d’Abram une grande nation, va le bénir, va rendre grand son nom qu’il va pourtant changer pour signifier tout cela. Et comme si le Seigneur avait peur qu’Abram n’est pas bien compris l’importance de cet appel, Il re-souligne encore trois fois cette notion de bénédiction, je vous les redis dans la traduction de la TOB :

« Sois en bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront, qui te bafouera je le maudirai ; en toi seront béni toutes les familles de la terre. »

« Cet engagement de Dieu en faveur d’Abraham est important à plusieurs égards. La première promesse qui lui est faite n’est en effet pas celle de posséder un pays; c’est une promesse de bénédiction qui, de plus, se trouve formulée de manière universaliste. Le texte opère en outre une démocratisation de l’idéologie royale. Ce qui est dit d’Abraham (v.2-3) relève de cette idéologie. Le grand nom renvoie à la promesse davidique (2 S 7.9) ; l’idée d’un médiateur de la bénédiction se base sans doute sur un Psaume royal : Que son nom demeure pour toujours, et qu’on se bénisse l’un l’autre en le nommant (Ps 72,17) »[1]

Alors, j’ai envie de dire à vous qui connaissez aujourd’hui une mutation géographique de votre région, restez concentré non pas sur ce changement où il nous faut nous accueillir les uns les autres comme nous le vivrons ce soir autour du repas mais sur la promesse de bénédiction. Même si ce n’est pas le Seigneur qui a impulsé directement ce changement des frontières de nos régions, puissions-nous tous vivre cette évolution comme Abraham, c’est-à-dire sans hésitation : « Abram partit comme le Seigneur le lui avait dit. » 

Oui, l’appel de Dieu est audace où il faut tout lâcher pour partir vers l’ailleurs comme en témoigne le commencement de l’appel d’Abraham. La TOB traduit par « Pars de ton pays », Français courant « quitte ton pays », la Nouvelle Bible Segond ou encore la traduction dite Bayard « va-t’en ». Mot à mot comme le souligne la note de la NBS la formule hébraïque pourrait être transcrite par va à toi ou va pour toi. Tout changement dans nos vies, tout départ et nouveau chemin est un mouvement pour mieux se rencontrer soi-même, pour mieux avancer dans sa vie. On retrouvera cette même expression « va-t’en »en Genèse 22, 2, je vous rappelle ce passage (NBS) : « Dieu dit : Prends ton fils, je te prie, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac ; va-t’en au pays de Moriya et là, offre-le en holocauste sur l’une des montagnes que je t’indiquerai. »

Comme le souligne un certain Didier Crouzet dans un petit ouvrage que je vous recommande même s’il est sorti il y a déjà plus de 7 ans et qui reste toujours d’actualité, Travailler, faire son marché, lire la Bible, publié aux éditions Olivétan, Abraham est finalement un paysan flexible. En effet, dans son ouvrage Didier Crouzet souligne qu’aujourd’hui comme hier il faut savoir entrer dans les trois composantes de la flexibilité dans nos vies. Je les souligne en reprenant son écrit prenant pour exemple justement Abraham :

« Un temps de deuil : Abraham doit couper avec son passé, rompre les liens avec son père.

La mobilité : il quitte sa terre d’origine et se met en route.

Le contrat et la visée : il obéit à Dieu contre une terre, une descendance et une bénédiction.

Abraham accepte d’être flexible parce qu’il sait où il va et ce qu’il va gagner. Ou plutôt il le croit. C’est sa confiance en Dieu et en l’avenir qui l’entraîne dans cette aventure. Il accepte librement le contrat que Dieu lui propose. »[2]

Alors nous pouvons, je crois, en cette fin d’après-midi entendre à notre tour à travers ce récit de la vocation d’Abraham, l’interpellation sur cette flexibilité. Il y a là comme des encouragements pour nos vies, apercevoir une brillante espérance pour notre monde et une invitation à répondre ou continuer de répondre nous aussi à un appel. Ce premier texte extrait de l’Ancien Testament et qui nous décrit cet épisode de la vocation d’Abra(ha)m avec cette invitation à se mettre en mouvement vers une terre promise, nous rappelle peut-être que toute vie est liée à une ou des promesses. A notre époque tentée souvent par l’absurde, il est peut-être bon de revenir à cette promesse que Dieu fait, pleine d’encouragement pour celui à qui elle est destinée, d’encouragement à se mouvoir pour découvrir qu’il n’est pas destiné à n’être qu’une poussière dans ce monde mais bien plutôt à l’origine de grand bouleversement.

Abraham est aussi encouragé à se bouger pour faire l’expérience de cette présence de Dieu qui illumine et métamorphose toute créature. Tout comme en haut de la montagne où se déroule dans le Nouveau Testament l’épisode de la Transfiguration, lieu qui annonce avec la lumière et le nuage une révélation, Abra(ha)m va vivre à présent des choses importantes qu’il ne va pas tout de suite comprendre même s’il accepte de les vivre en suivant l’ordonnance du Seigneur. Chacune de nos vies est ainsi un jour bousculé par une rencontre, une Parole, une lecture qui encourage à sortir de ses retranchements, de ses idées toutes faîtes. Et je dirai comme nous le propose le texte grec de l’Evangile de Matthieu au sujet de la Transfiguration, que nous sommes tous un jour invité non pas à être transfiguré mais à être métamorphosé pour devenir aussi lumineux que le soleil.

Et je me permets de revenir ainsi là, à notre texte de Genèse : « Le Seigneur dit à Abra(ha)m : pars, va-t’en de ton pays… » Il l’invite à quitter ses conforts pour être une lumière pour le monde. Le Seigneur nous invite à ne pas rester là à attendre que les choses se passent. A rester dans nos convictions bien douillettes, faites de certitudes absolues. Il nous invite à nous bouger, à aller à la rencontre des autres, à témoigner dans notre quotidien que quelque chose à changer dans notre vie. Oui, la Parole de Dieu ne nous laisse jamais en place. Elle nous met en route pour qui veut bien être un peu flexible comme elle a mis en route Abra(ha)m dans ce « va vers toi » que nous avons évoqué à l’instant.

« Comme Dieu a choisi de s’incarner parmi nous en son Fils, notre foi ne peut, elle aussi, se vivre qu’incarnée dans le monde. Au contact des autres, de la réalité quotidienne et non pas uniquement dans des temps de contemplation ou de prière, même si ces temps-là sont indispensables. Simplement, car on ne peut donner et partager que ce que nous avons nous-même reçu… Aller de l’avant, avancer, c’est ce à quoi nous invitent ces deux textes bibliques [que je viens de mettre en parallèle], tant celui de la transfiguration que celui de la vocation d’Abraham où il est question de partir en laissant tout derrière soi. Aller de l’avant. Oui. Sans peur et sans crainte, en s’appuyant sur notre foi en Dieu. D’accord. Mais pas en courant n’importe où et pas sans le temps nécessaire pour se re-poser, se re-positionner par rapport à Dieu, aux autres et à soi-même. »[3]

 

C’est peut-être ce temps qui nous est donné maintenant avec ces journées synodales. Nous ressourcer ensemble et repartir avec un élan dans nos communautés locales. Pour l’heure, partons avec élan dans cette session synodal avec ce petit commentaire de Ze Bible pour ce petit passage de l’Ecriture sur lequel nous venons de nous arrêter :

« Abram est mal parti : à 75 ans, il vit chez son père, là où son frère est mort, avec sa demi-sœur stérile ! Mais Dieu a un projet pour lui. Il voit grand. Il parle de nation, de célébrité, de bénédiction universelle… Abram ne semble pas fait pour tout cela. Mais il a un atout : il répond à l’appel de Dieu. Et il part avec tout ce qu’il a et tout ce qui lui manque. Comme lui, aucun d’entre nous n’est vraiment à la hauteur de l’appel de Dieu… mais nous sommes en route ! », en route ensemble pour aller plus loin.

Illustration sonore : Ailleurs de Jean Louis Aubert, extrait de l’album Idéal Standard, 2005

Plus loin, un peu plus loin
Au-delà des mers
Un peu plus loin
Mon coeur

Plus loin, un peu plus loin
Au-delà des terres
Un peu plus loin
Ailleurs

Puisqu’on a pris le temps
On tiendra la distance
Puisqu’il y a des trains
Toujours en partance
Ce monde derrière le monde
Peut-être existe-t-il
Immobile

Il y a un monde ailleurs
Un monde ailleurs

Plus près, un peu plus près
Mon frère
Plus près, un peu plus près
Des barrières, des frontières
Puisqu’on a pris le temps
On tiendra la distance
Puisqu’il y a des trains
Cachés derrières nos trains
Ce monde derrière le monde
Peut-être existe-t-il
Immobile

Il y a un monde ailleurs
Ailleurs
Un monde ailleurs
Ailleurs

Le voyage paraît-il
Peut se faire immobile
Je connais des diagonales
Qui transpercent les cœurs

Puisqu’on a pris le temps
On tiendra la distance
Puisqu’il y a des trains
On prendra notre chance
Ce monde derrière le monde
Peut-être existe-t-il
Immobile
C’est sûr

Il y a un monde ailleurs
Ailleurs
Un monde ailleurs

Un monde ailleurs
Demain
Rien n’importe moins que demain
Mon frère
Un monde ailleurs

 

Cette illustration sonore, non pour dire qu’il y a un autre monde meilleur qui existe ailleurs mais qu’il y a toujours un monde ailleurs que là où nous nous trouvons et qu’il est intéressant de nous ouvrir à cet ailleurs ensemble comme d’ailleurs votre région le vit et le fait dans ces échanges tripartites. En synode, nous ne sommes pas invités à nous couper du monde pour changer de monde mais pour finalement changer le monde ensemble, lui donner toujours plus le goût du Royaume. C’est pourquoi je vous invite à conclure ce temps de culte par la traditionnelle mais non moins importante prière d’ouverture d’un synode.

[1] Thomas Römer, Le peuple élu et les autres, l’Ancien Testament entre exclusion et ouverture. Editions du Moulin, 1997, p.74.

[2] Didier Crouzet, Travailler, faire son marché, lire la Bible, Convictions et Société, Olivétan, 2006, p.62.

[3]Thierry FAYE, Notes bibliques et prédication pour le dimanche 24.02.2002. Bible et Liturgie.

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