Pour que cesse l’intolérable/Israël-Palestine

De retour d’un voyage qui l’a bouleversé dans les Territoires occupés de la Cisjordanie, le pasteur Yves Poulain témoigne ici des humiliations et des violations systématiques du droit international et des droits humains fondamentaux par Israël à l’encontre des Palestiniens. Il ouvre ensuite des pistes pour l’action.

 

Entretien avec Emmanuelle Seyboldt, pasteur, rédactrice en chef du journal régional « Echanges » de l’Eglise réformée de France, en Provence-Alpes-Corse-Côte d’Azur

 

 
 

 

Palestine Soldats

Quelle situation avez-vous trouvée là-bas, qui vous a à ce point choqué et souvent révolté ?

Celle d’une occupation militaire omniprésente, oppressante, sournoise ou brutale, du pouvoir israélien et aussi celle de la spoliation continue des terres palestiniennes, en vue plus ou moins avouée de l’expulsion à court ou long terme de leurs habitants.

 

Comment se manifeste concrètement cette occupation ?

Tenez, par exemple : nombre de routes étant rigoureusement interdites aux Palestiniens, des trajets de quize minutes peuvent demander pour eux jusqu’à deux heures par des itinéraires complexes. Des centaines de postes de contrôle pour passer d’une zone à l’autre rendent la vie tout simplement impossible aux Palestiniens de tous âges. Tout dépend du bon vouloir des militaires qui ouvrent et ferment le passage quand bon leur semble. S’ensuivent des queues et des attentes interminables, rendant plus que problématique le travail des paysans sur leurs propres terres, ou encore l’accès aux soins hospitaliers, même en cas d’urgence, voire de vie ou de mort.

Qu’en est-il des colonies israéliennes ?

Elles sont très nombreuses, en position dominante sur les collines, tentaculaires, enserrant de façon spectaculaire les villages et villes palestiniens. De telle sorte que les Territoires sont progressivement comme grignotés. Ici et là, des fermiers ont été ou sont expulsés, leurs maisons démolies ou confisquées au profit de colons, des oliviers et arbres fruitiers arrachés au bulldozer par milliers – et parfois replantés dans les colonies ! Installés en toute illégalité avec l’aval du pouvoir israélien, les colons sont systématiquement protégés (sinon quasi encouragés) par l’armée, quoi qu’ils fassent subir à leurs voisins palestiniens qu’ils encerclent – et leurs agressions de toutes sortes, parfois meurtrières, sont incessantes.

Le murEt puis, il y a le fameux mur, cette construction hideuse de 8 à 14 mètres de haut, par endroits remplacé par une clôture électrifiée. Erigé – mais non encore achevé – par Israël, son tracé sur plus de 700 km empiète à 80 % à l’intérieur des terres palestiniennes, auxquelles, pour presque la moitié, les agriculteurs ne peuvent accéder.

Autre obstacle majeur : l’eau, pourtant si nécessaire, vitale. Son accès est lui aussi dramatiquement restreint aux habitant. Seuls ou presque, les Israéliens sont autorisés à pomper ou puiser l’eau des nappes et à détourner à volonté celle du Jourdain : ils consomment neuf fois plus d’eau que les Palestiniens !

Système d’apartheid aussi, ce réseau routier parallèle réservé aux Israéliens, qui relie les colonies entre elles et à Jérusalem. Comment donc, avec cette prolifération des colonies, toutes aussi illégales les unes que les autres, avec ce morcellement des Territoires, ces interdictions et obstacles de toutes sortes, oui, comment sera-t-il possible de créer un Etat palestinien viable ?

Face à cette situation, quelle est la réaction du peuple palestinien ?

Palestine - Mur
Elle a pour mot d’ordre : « Exister, c’est résister ». Après la seconde intifada, en 2000, le choix a été fait, y compris par l’Autorité palestinienne, d’un engagement résolu dans la résistance non-violente active. Mais cela, on ne le sait pas en France, ou très peu. Elle s’organise et se développe de façon croissante pourtant, en coopération, il faut le souligner, avec des opposants israéliens et des militants internationaux. La présence de ces derniers, en particulier dans les manifestations pacifiques, permet une relative diminution de la répression. Chaque vendredi, dans de nombreux villages, des groupes de Palestiniens manifestent en effet contre le mur, les destructions et les accaparements de terres. Les soldats israéliens sont là, postés, les grenades lacrymogènes ne tardent pas à pleuvoir mais parfois des tirs plus offensifs provoquent des blessés et même des morts.

Si donc, à vous entendre, une solidarité active s’impose, que peut-on faire, concrètement, en France ?

Rien ou pas grand chose si l’on reste seul. L’action de soutien ne peut guère qu’être collective. Notamment en s’insérant dans des structures associatives. Elles sont nombreuses (1). Pour commencer, il est primordial de s’informer sérieusement – au delà des médias ordinaires, sauf de rares exceptions – sur la situation là-bas : les diverses sources qui le permettent abondent. Il y a quelques semaines, assez exceptionnellement mais à une heure très tardive, France 2 a diffusé une émission remarquable sur le sujet dans la série Un œil sur la planète : « Un État palestinien est-il encore possible ? ». 

Une information sérieuse ne suffit toutefois pas. Quelle action est-elle possible ?

A partir de l’information, et donc d’une prise de conscience solidement fondée, il faut que se crée un vaste mouvement de l’opinion publique pour peser sur les décideurs, en France et en Europe, qu’ils soient politiques ou financiers. Une campagne internationale pour une paix juste et durable, établie sur le droit, a été lancée depuis quelques années : « Boycott, désinvestissement, sanctions » (BDS). A l’instar de ce qui avait été fait, avec succès, contre l’apartheid en Afrique du Sud, elle appelle :

1) au boycott des produits israéliens, dont beaucoup sont frauduleusement commercialisés en Europe sous le label made in Israël alors même qu’ils proviennent des territoires occupés ;

2) au désinvestissement des capitaux qui participent plus ou moins directement à la colonisation (armement, travaux publics, etc.) ;

3) aux sanctions juridiques, par les tribunaux internationaux, des diverses violations du droit commises par le pouvoir israélien. 

Manifestation pour la paix

Devant cette situation, qui paraît inextricable, comment ne pas désespérer ? 

Pour les Palestiniens qui manifestent avec un courage inouï toutes les semaines depuis des années, nous n’avons pas le droit de ne rien faire ! Devant les emprisonnements massifs et arbitraires, le comportement criminel d’Israël (cf. le rapport Goldstone) et l’immunité insupportable dont il jouit au niveau international – d’autant plus insupportable qu’il a lui-même subi la persécution – nous n’avons pas le droit de ne rien faire ! 

Des citoyens israéliens eux-mêmes – quoique trop minoritaires encore – luttent pour une autre politique que celle menée par leurs dirigeants. Il nous appartient de contribuer à faire entendre leur voix.

La mienne voudrait s’adresser plus particulièrement à l’Eglise : n’est-il pas grand temps qu’à ses divers niveaux, en pleine connaissance de cause quant à ce drame et à cette interminable injustice, elle exerce à son sujet ce qu’on appelle son « ministère prophétique », en s’associant à l’engagement d’y mettre fin ?

Et déjà en « brisant le silence » (2) de l’indifférence. C’est à cela que je l’appelle de façon pressante.

Propos recueillis par Emmanuelle SEYBOLDT

Journal « Echanges » janvier et février 2012

(1) Cf., entre autres, la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine 

(2) C’est le titre d’un ouvrage récent (« Breaking the silence ») dans lequel quelque 800 militaires israéliens de tous grades témoignent courageusement des graves exactions qu’il reçoivent l’ordre de commettre sur les Palestiniens.

 

 

Lettre ouverte

Mon cher Jésus,

Je suis allée chez toi. Je rêvais de découvrir Israël, le pays qui t’a vu naître, parler, marcher, mourir, et ressusciter. Une histoire forte, parfois pleine d’espoirs, parfois sanglante. Mais les exils, les croisades, les guerres ne l’ont pas ébranlé. Je voulais voir les paysages que tu as vus, rencontrer le peuple que ton Père s’est choisi. 

Si un jour tu reviens, tu seras surpris. Les choix de ton peuple ont marqué ce bout de terre, coincé entre la mer et une multitude d’ « ennemis » : les Palestiniens, opprimés, clôturés ; les Libanais, les Syriens, les Iraniens, les Jordaniens, les Égyptiens. Après avoir passé la douane, non sans mal (une jeune étrangère qui voyage seule et ne connaît personne, c’est louche), sache que la première chose que j’ai vue, c’est un « check point ». Il faut se montrer aux soldats lourdement armés qui ont des questions pour le voyageur : d’où il vient, où il va, pourquoi, etc. Une sorte de deuxième douane… Toi qui passais sans passeport, sans te justifier, toi qui invitas tes disciples à «passer sur l’autre rive », maintenant c’est interdit, c’est la Jordanie ! Puis on arrive à Jérusalem, ville dynamique, en pleine expansion. Elle construit partout de grandes maisons impeccables, et des hôtels chics pour les millions de touristes. Israël colonise, s’invite, s’impose. Il bâtit des autoroutes sur les chemins des Bédouins et déplace leurs tentes et leurs troupeaux. Il a aussi le culot de s’installer dans les Territoires. L’Etat favorise largement l’accès à la propriété. Malgré les conséquences, souvent désastreuses…

Si tu reviens, ce qui risque de t’agacer ce sont les boutiques de souvenirs qui proposent des bouteilles d’eau du Jourdain, des icônes, des T-shirts où ton visage est en multicolore. C’est kitch ! C’est navrant, mais ça rapporte. Ne te mets pas trop en colère contre les églises dorées, bâties où tu as fait, ou dit quelque chose. Toi qui prônais la pauvreté et l’amour pour Dieu en Esprit et en Vérité… Toutes les églises de Cana affirment qu’elles ont les jarres où tu changeas l’eau en vin. Une église moderne très laide à mon goût a été construite au-dessus de la maison de Pierre. C’est humain ! Nous avons besoin de lieux qui parlent et peuvent édifier notre foi. On peut aussi se dire que ces lieux font référence à des moments de ta vie. Ils aident à faire mémoire pour les foules qui se pressent et photographient. A condition que les guides connaissent les évangiles, et ne racontent pas le « bon samaritain » qui, selon eux, te soigna quand tu fus blessé !

Je ne t’en dirai pas plus. Peut-être qu’il serait bon que tu reviennes et te rende compte par toi-même. De mon côté, je veux raconter les paysages somptueux, et les gens. Les choix positifs et les choix douteux, qui je l’espère vont faire réagir. 

Pendant que j’étais chez toi, Mahmoud Abbas a demandé que la Palestine fasse officiellement partie de l’ONU…

Mon très cher frère, mon Seigneur et mon Dieu, je t’embrasse. Shalom !

Pasteur Joëlle WETZSTEIN

Bagnols-Pont-Bourg

Journal « Echanges » janvier 2012

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