Prédication du dimanche 24 avril 2022

Vous avez raté le culte de Pâques du 24 avril dernier ? Retrouvez la prédication ici !

Prédication réalisée d’après les lectures bibliques : Genèse chapitre 32 versets 25 à 32 et Evangile de Jean chapitre 20 versets 19 à 31.

« Je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois« . Nous connaissons tous cette expression populaire. Elle a fait de l’apôtre Thomas, un incrédule, un empiriste, voir même un rationnaliste avant l’heure. La tradition catholique a fait de lui le saint-patron des maçons et des architectes, c’est-à-dire, de ceux que construisent / édifient sur du solide.

En matière de foi, Thomas constraste avec les autres disciples. On tend souvent à suposer que Thomas est le seul à ne pas croire du premier coup, parce que le texte ne dit pas comment les autres auraient réagit dans sa situtation. Pour les autres apôtres, Jésus leur est apparu, et avant même qu’ils n’aient le temps d’avoir des doutes, ils leur présentent ses stigmates. Jésus a donc devancé les questions potentielles. Il anticipe.

Thomas est placé dans une situation différente. Il ne dipose que des témoignages des autres et doit se faire sa propre opinion seule. Les autres bénéficient de l’effet de groupe pour se convaincre mutuellement. Il y a dissymétrie dans le récit. Comment comprendre la place de Thomas dans ce récit ?

Nous avons d’un côté tous les apôtres, sauf Thomas et Juda. Ils ont reçus des preuves et sont de fait, devenus croyant. De l’autre, Thomas, l’homme est seul face à tous les autres, que le texte présente comme l’incrédule de service, celui à qui il faut des preuves, seul contre tous, y compris Dieu.

Représentons-nous la scène.

Acte I : Nous sommes un dimanche soir, donc à la fin du premier jour de la semaine juive, le lendemian de Shabbat, jour du repos. Les dix apôtres sont dans un lieu clos, portes fermées. Jésus apparaît. On pourrait penser à un fantôme, un spectre, une entité immatérielle, voir une simple illusion, fruit d’une hallucination collective. Et voici que Jésus, commence par les rassurer et appelant sur eux la paix par la formule Shalom Aleyhem, « que la paix soit avec vous ! » Et juste après, il leur montre ses mains et son côté. Dès les débuts, il coupe court à toute interrogation.

D’un point de vue théatral, c’est cash, clair, net et précis. Il n’y a pas d’intrigue. Tous les éléments sont posés.

Acte II : Thomas entre en scène. Les dix autres apôtres lui racontent la scène, il a du mal à y croire. Une semaine passe. On ne peux qu’imaginer les échanges entre eux et les questionnements intérieurs de Thomas, mais le texte n’en parle pas.

Acte III : Nous sommes une semaine plus tard, donc toujours un dimanche, premier jour de la semaine, c’est-à-dire au début d’un cycle. Même protagoniste qu’à l’acte I, mais avec Thomas en plus, soit onze apôtres et Jésus, donc douze personnes, tout un symbole en soit, nombre de l’élection chez les Juifs. Jésus réapparait de la même façon, toujours portes fermées, même formule – Shalom Aleyhem, « que la paix soit avec vous ! » Il montre à Thomas ses stigmates comme aux autres, mais il lui demande en plus de mettre son doigt dans les plaies, en réponse aux doutes de Thomas. Le récit ne nous dit pas si Jésus a mal. Si le geste lui réouvre les plaie, s’il se remet à saigner, ou si Thomas hésite et trouve ça dégoutant. On sait juste que Thomas vit une révélation intérieure. Il s’exclame : « Mon Seigneur et mon Dieu !« 

Acte IV : Jésus dit à Thomas : « Parce que tu m’as vu ; tu as cru. Heureux ceux n’ont pas vu et qui ont cru !« 

Nous y sommes ! « Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru !« 

Pourquoi cette formule de Jésus ? Comment la comprendre ?

Prenons un peu de recul, et attachons-nous à une lecture institutionnelle de l’Eglise primitive.

Cette parole de Jésus peut être lu comme fondatrice pour la propagation du christianisme. Si l’idée de Jésus avait été que seul ses témoins croit en lui, alors cette parole n’aurait pas été nécessaire. Ceux qui ont croisé sa route de son vivant suffiraient à fonder une petite communauté de quartier, qui disparaîtrait en quelques décennies avec la mort de chacun. Au contraire, si l’on regarde la révélation du Christ en Jésus, comme relevant d’un bouleversement de l’Histoire devant s’inscrire dans un temps long, alors cette parole de Jésus est indispensable. C’est un commandement visant à apaiser les doutes des générations futures, et donc à assurer la stabilité de l’Eglise, institution en devenir, potentiellement promis à un brillant avenir. On peut donc faire de cette parole, une lecture froide, stratégique, sociologique, historique avec 2000 ans de recul.

Autre lecture possible, l’approche psychologique de Thomas…

Jésus apparaît aux dix autres apôtres en son absence… Il y a de quoi être véxé. Il peut se sentir exclu. Jésus, fils de Dieu, doit savoir ce qu’il fait en apparaîssant, il sait donc que Thomas n’est pas là. Celui-ci peut légitimement penser que Jésus fait un choix délibéré en le mettant de côté. La situation peut être difficile à vivre. Il est simplement mis de côté et peut se percevoir comme un apôtre de seconde classe, moins important que ses condisciples.

Les dix autres lui racontent la scène. Pour lui, qui n’est pas témoin de la scène, ça doit paraître invraissemblable. En plus, lui est un jumeau, donc on peut imaginer qu’il envisage une supercherie, un frère jumeau caché de Jésus, qui se ferait passer pour le Christ pour reprendre le flambeau et s’attribuer les mérites du défunt. De ce point de vue, vouloir des preuves, en touchant des plaies, est une démarche pragmatique de la part d’un témoin fidèle, se voulant le garant de la vérité. Thomas est donc à sa façon, le gardien de la mémoire du Jésus authentique, contre les sosies mal intentionnés. Il défend l’héritage de Jésus. De ce point de vue, Thomas n’est pas un sceptique, mais un disciple prudent, un rempart, un fidèle parmi les fidèles.

Mais nous ne sommes ni communauté d’historiens, ni de psy. Alors quelle lecture spirituelle pouvons-nous en faire de la parole de Jésus ? Quel sens théologique lui donner ? Comment cette parole peut nourrir la relation qui nous unie à Dieu ?

Mettons-nous dans la peau de Thomas quelques instants, et interrogeons-nous sur son ressenti pendant la semaine qui s’est écoulé entre les deux apparitions…

On peut penser qu’après une semaine de doute, de questionnement, Thomas vit une forme de souffrance spirituelle. On peut imaginer une pression du groupe, à dix contre un, pour le convaincre, et lui faire entendre raison. On peut même penser que ces doutes l’ont un peu mis à l’écart du groupe. Il vit probablement une sorte d’isolement, tant physique qu’émotionnel. Il n’est peut-être pas très bien dans sa peau. Il doute certainement de sa foi, d’être un disciple fidèle. La seconde apparition de Jésus est alors pour lui une véritable guérison intérieure, une résurrection spirituelle, une réintégration dans le groupe, une véritable épiphanie.

Alors pourquoi Jésus a-t-il cette phrase : Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! Est-ce une condamnation de l’incrédulité de Thomas ?

Prenons un peu de recul sur l’Ecriture, et regardons le cas d’autres incrédules.

Lorsque Barak a douté de Dieu lui donnant la victoire sur les cananéens, c’est la prophétesse Débora qui est venu à son secours, lui ôtant le prestige du triomphe. Elle, une femme, ce qui dans une société patriarcale a pu être déstabilisant à ses yeux d’homme, de chef de guerre.

Lorsque Jacob a lutté contre l’ange, il en est resté boiteux. Pour un berger, c’est une douleur pérenne lorsque l’on déplace les troupeaux.

La Bible est pleine d’exemples de ce type. Est-ce à dire que Dieu condamne le doute ? On peut l’interpréter comme une lutte contre Dieu, une mise à l’épreuve de son existence, une attente de preuve et de justification. Alors en ce sens, peut-être que oui, Dieu condamnerait le doute, parce qu’il ne supporterait pas notre manque de foi. C’est une lecture envisageable, mais qui ne rendrait peut-être pas justice à Dieu.

Voici une autre lecture possible. Nous avons envisagé la souffrance que le doute pouvait avoir sur Thomas. Le doute peut être un moteur de la foi. Chacun de nous a pu l’expérimenter au cours de sa vie. Le doute peut nous amener à chercher d’avantage, à prier davantage, à lire davantage. Et ce faisant, il nous pousse à nouer une nouvelle relation à la transcendance, à refonder notre dialogue intérieur avec Dieu, pour aller de l’avant. Mais il arrive aussi, de temps à autre, que le doute soit une violence que l’on subit. La foi est une relation d’amour. Dans l’amour, le doute est parfois destructeur, pour la relation et pour soi. On peut concevoir que Jésus ressente pleinement la souffrance de Thomas, son désarroi, sa perte de repère. A cela, il répond par anticipation dès ses apparitions en disant : Shalom Aleyhem, « que la paix soit avec vous !« . Il le dit trois fois, autrement dit, selon la symbolique juive, une multitude de fois. Pour Jésus, la paix du coeur est donc première avant toute chose. Plus que le doute, il nous souhaite la paix du coeur.

« Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » Ca c’est la traduction du grec. Il y a une autre traduction, moins connu, c’est la traduction juive de Chouraqui : « En marche ceux qui n’ont pas vu et qui adhère« .

L’articulation entre la notion de bonheur et celle de mouvement est parlante à travers ces deux traductions, dans la mesure où elles nous invitent à sortir de soi, à aller vers… Vers la paix que propose Jésus, la tranquillité de l’esprit. Là où le doute divise, nous sépare de la relation à la transcendance, Jésus nous propose un chemin de confiance, un chemin de paix.

Le doute est une absence de certitude, de connaissance, de vision, de preuve. C’est une chose saine, si on le vit de façon apaisée. Le doute est une preuve d’humilité, là où la connaissance peut conduire à l’orgueil. Le doute est une preuve d’ouverture, là où la certitude peut être une fermeture de l’esprit. Le doute est une invitation au dialogue, là où l’assurance par la connaissance peut conduire à l’extrémisme des dogmes aveugles et brutaux.

Plus qu’une parole de condamnation, c’est une parole de bienveillance que nous donne Jésus. C’est une parole de libération de nos doutes, pour nous aider à avancer. C’est une mise en garde contre le fait de se perdre soi-même sur un chemin qui ne nous conviendrait pas, un chemin d’isolement spirituel et de souffrance intérieure. C’est un engagement à la confiance.

La recherche de preuve, la recherche de connaissance, n’est pas mal en soi. Mais l’enfermement dans cette recherche, est une mise à l’épreuve de Dieu. En cela, elle rend l’homme boiteux, comme Jacob. Mais non pas boiteux au sens physique du terme, mais boiteux au sens où l’homme n’est pas stable sur ses appuis, il n’est pas fort sur ses fondations, il n’est pas inébranlable. En nous souhaitant la paix, Jésus veut que notre stabilité intérieure soit une force devant l’adversité, le calme dans la tempête. Alors… Que la paix soit avec vous ! Amen, c’est vrai.

Dimanche 24 avril 2022, Rennes

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