Les grands principes du protestantisme

 

À Dieu seul la gloire

Dans l’Institution de la Religion Chrétienne, Calvin proclama haut et clair l’absolu de Dieu et son altérité par rapport à l’homme, insistant sur la distinction radicale existant entre le Divin et l’humain. Cette affirmation est liée à son interprétation de la faute originelle : depuis Adam, personne n’est juste, personne ne peut faire le bien, personne donc ne peut s’enorgueillir de ses œuvres. Les œuvres n’ont d’ailleurs aucune valeur salvatrice. Dieu seul sauve et il le fait par grâce. Cette conception qui trouva son origine chez Paul, amena Calvin, après saint Augustin, à développer la doctrine de la Prédestination. Bien qu’aucun homme ne mérite son salut, Dieu dans sa grande bonté a décidé d’en sauver certains, et la raison qu’il en donne est la manifestation de sa gloire. Il affirma qu’il y avait un  » décret d’élection « , fruit de la bonté de Dieu, et un  » décret de réprobation « ,  » fruit de sa justice « . Théodore de Bèze radicalisa par la suite la pensée de son maître. Dans l’ordre du salut, qu’il expliqua par un diagramme, nous voyons d’un côté les élus, de l’autre les réprouvés, partant d’un tronc donc Dieu occupe le sommet. Après la prescience venait la création de l’homme, la corruption, le jugement de Dieu, et, dernier but : sa Gloire. Les réprouvés passeraient alors en jugement, et les élus  » en miséricorde et Injustice « .

Zwingli, le réformateur de Zurich, avait lui aussi un sens aigu du divin, et dès le commencement de son Expositio Fidei, qu’il adressa en 1531 au roi François 1er, il insista sur la différence entre le Créateur et les créatures :

 » Tout ce qui existe, sans exception, est ou créé ou incréé. Dieu seul n’est point créé, car il est impossible qu’il y ait plus d’une réalité incréée. S’il y avait plusieurs êtres incréés, il y aurait aussi plusieurs êtres éternels, car incréation et éternité sont alliées et conjointes de telle sorte que l’une est semblable à l’autre. Or, s’il y avait plusieurs choses éternelles, il y aurait plusieurs choses infinies, car les liens et les rapports sont tels que tout ce qui est éternel est aussi infini, et que tout ce qui est infini est aussi éternel. « 

Proclamation sans ambiguïté d’une absolue transcendance et puissance. Tout part de Dieu, et tout mène à la gloire de Dieu. De ce principe théologique de la Réformé découla un changement radical dans la piété. Les Réformateurs fustigeront ceux qui au lieu d’adorer l’absolu qu’est Dieu, voulaient  » absolutiser  » une créature pour l’adorer. Les faux dieux abondaient au temps de la Réforme. Alors ils rejetèrent les statues miraculeuses, les fontaines et arbres sacrés, la vénération des reliques, les pèlerinages. Et parce qu’il ne pouvait y avoir d’intermédiaire auprès de Dieu que le Fils, ils rejetèrent également le Purgatoire et, bien sûr, les indulgences qui permettaient d’en raccourcir le séjour, ainsi que les prières pour les morts et le culte des saints. Mais conscients de la distance extraordinaire qu’il y avait entre la créature et le Créateur, ils soulignèrent avec plus de force le rôle de Jésus Christ, seul intermédiaire entre l’homme et Dieu :  » C’était uniquement par Jésus Christ, disait Calvin, que Dieu  » peut être connu à salut  »

Le Soli Deo Gloria, est également l’anti-thèse de l’Eglise infaillible et de sa hiérarchie qui prétendait détenir le pouvoir des clefs, ou du prêtre, intermédiaire obligatoire entre le fidèle et Dieu, ou du sacrifice de la messe, sans cesse renouvelé, ou des conciles qui prenaient la place de l’Ecriture. Alors comme les prophètes de l’Ancien Testament exhortant le peuple d’Israël à ne mettre sa confiance qu’en son Dieu seul, et à ne pas lui juxtaposer les aides terrestres autant que les idoles du ciel, de la terre et des eaux, les Réformateurs ont mené un vaste combat contre l’idolâtrie, faisant tomber des mythes plus ou moins archaïques et des rites plus ou mains magiques. Dieu seul, éternel, immuable, infini, ineffable, qui seul peut dire  » Je suis « . S’interrogeant sur le  » Soli Deo gloria, sola gratia, sola fide, sola scriptura  » de la Réforme, André Dumas fit ce magnifique constat :  » Seul n’indique pas un rétrécissement, mais une décision, pas une amputation, mais une purification, pas un manque, mais une assurance « . (1)

Liliane CRÉTÉ


(1) André Dumas, Protestants, Paris, les Bergers et les Mages, 1987, p. 14

Seul, seule, seulement

Agrippa d’Aubigné : Les Tragiques. Chant V :  » Les feux « 

Agrippa d’Aubigné met ces paroles dans la bouche de Montalchine, cordelien italien,
brûlé à Rome en 1533, pour avoir prêché la Réforme :

 » De deux opinions et de leur différence
Trois mots feront par tout le vrai département
Des contraires raisons : seul, seule et seulement.
J’ai prêché que Jésus nous est seul pour hostie
Seul sacrificateur qui seul se sacrifie :
Les docteurs, autrement, disent que le vrai corps
Est sous pain immolé pour les vifs et les morts,
Que nous avons besoin que le prêtre sans cesse
Resacrifie encore Jésus Christ en la messe.
J’ai dit que nous prenons, prenant le sacrement,
Cette manne du ciel par la foi seulement :
Les docteurs, que le corps en chair et en sang entre
Ayant souffert les dents, aux offices du ventre.
J’ai dit que Jésus seul est notre intercesseur
Qu’à son père l’accès par lui seul nous est sûr ;
Les docteurs disent plus et veulent que l’on prie
Les saints médiateurs et la Vierge Marie.
J’ai dit qu’en la foi seule on est justifié
Et qu’en la seule grâce est le salut fié :
Les docteurs autrement et veulent que l’on fasse
Les œuvres pour aider et la foi et la grâce.
J’ai dit que Jésus seul peut la grâce donner
Qu’autre que lui ne peut remettre et pardonner :
Eux que le Pape tient sous ses clefs et puissances
Tous trésors de l’Eglise et toutes indulgences.
J’ai dit que l’ancien et nouveau Testament
Sont la seule doctrine et le seul fondement :
Les docteurs veulent plus que ces règles certaines
Et veulent ajouter les doctrines humaines.
J’ai dit que l’autre siècle a deux lieux seulement
L’un le lieu des heureux, l’autre lieu du tourment ;
Le limbe des enfants, des grands, le purgatoire.
J’ai prêché que le Pape en terre n’est point Dieu
Et qu’il est seulement évêque d’un seul lieu :
Les docteurs lui donnant du monde la maîtrise,
Le font visible chef de la visible Eglise.
O chrétiens choisissez : vous voyez d’un côté
Le mensonge puissant, d’autre la vérité ;
D’une des parts, l’honneur, la vie la récompense,
De l’autre ma première et dernière sentence ;
Soyez libres ou serfs sous les dernières lois
Ou du vrai ou du faux. Pour moi j’ai fait le choix :
Viens, Evangile vrai, va-t-en fausse doctrine !
Vive Christ, vive Christ ! Et meure Montalchine
 « 

Calviniste ardent, compagnon d’armes d’Henri IV, il mit notamment son talent d’écrivain au service de ses convictions en écrivant une épopée mystique, les Tragiques, 1616. Il fut le grand-père de Mme de Maintenon.


Sola Gratia, la Grâce seule

Tandis qu’aux portes de la Saxe, le dominicain Tetzel promettait la rémission des péchés et la rémission plénière pour les âmes du purgatoire à ceux qui verseraient des offrandes dans la caisse des indulgences, à Wittenberg, le moine augustin et professeur de théologie Martin Luther, ému devant cette perversion du christianisme, affichait sur la porte de l’église le 31 octobre 1517 un long document en latin : 95 thèses qu’il se proposait de défendre dans un débat public contre quiconque se présenterait pour les réfuter. Que disent ces thèses ? Entre autres que les indulgences ne servent à rien mais bien au contraire indignent le Seigneur, que seule la croix de Christ sauve et qu’il faut exhorter les chrétiens à « s’appliquer à suivre Christ leur chef à travers les peines, la mort et les enfers » (thèse 94) et à espérer entrer au ciel par « beaucoup de tribulations » plutôt que de se reposer sur la sécurité d’une fausse paix (thèse 96). Sola gratia, seule la grâce sauve. Cette affirmation est le fondement de la Réforme et de la pensée protestante.

Jeune homme tourmenté par la crainte de l’au-delà, Martin Luther était entré au couvent pour y chercher la paix intérieure, mais il y découvrit que la multiplication des œuvres pies n’apaisait en rien l’angoisse du jugement dernier. Une question le hantait : comment trouver grâce auprès du Dieu justicier, comment l’homme pécheur pouvait-il se tenir debout devant Dieu ? Après un long et douloureux cheminement, il comprit que Dieu donnait sa grâce gratuitement, par amour pour sa création. Il rejeta par conséquent les œuvres et même tout travail sur soi-même, toute préparation spirituelle au don de la grâce. Justifiés par la seule miséricorde divine, les croyants n’avaient plus à faire leur salut mais à vivre joyeusement pour Dieu et pour leurs prochains. Il raconta plus tard que c’était l’étude de l’épître aux Romains qui l’avait amené à concevoir le salut comme œuvre de la grâce de Dieu. Saint-Augustin l’avait déjà dit. Mais une différence apparaît entre ce père de l’Eglise et le réformateur saxon : pour Augustin, la grâce, don de Dieu, était une réalité infuse à l’homme qui apportait à celui-ci une qualité et une force nouvelles ; pour Luther, la grâce était, je cite Marc Lienhard, « une attitude de Dieu et non une qualité objectivable, susceptible d’être détachée de Dieu » (1)

Le commentaire de l’Epître aux Romains nous fait pénétrer dans la pensée de Luther : il nous montre le chemin de sa libération, d’une libération qu’il entend faire partager : la justice qu’il redoutait est devenue la justice passive, celle que Dieu donne gratuitement à ceux qu’il sauve. Justice et grâce sont ainsi liées puisque la justice de Dieu est comprise comme celle que Dieu a acquise pour l’homme en Christ.
Tant Zwingli et Bucer que Farel et Calvin le suivirent dans cette voie. Calvin avait un sens aigu de la divinité de Dieu, de sa transcendance et de son altérité qui ne pouvait que l’amener à refuser à l’homme une responsabilité dans son salut car cela contredirait à l’absolu de la passion du Christ. Dans l’Institution de la religion chrétienne, il développa le thème qu’il associa à l’élection. Au chapitre XXII du livre III, nous lisons :

Partout où règne ce bon plaisir de Dieu, nulles œuvres ne viennent en considération. Il est vrai qu’il ne poursuit pas cela en ce passage, mais il faut entendre la comparaison telle qu‘il l’explique ailleurs. Il nous a appelés, dit-il, en sa vocation sainte : non pas selon nos œuvres, mais selon son plaisir et sa grâce, qui nous a été donnée en Christ de toute éternité (II Tim. 1,9).

Nous ne pouvons donc nous attribuer un quelconque mérite du don de la grâce : Dieu nous a justifiés par le pardon de nos péchés en Jésus-Christ c’est-à-dire par sa mort sur la croix. La théologie du sola gratia mit ainsi un terme aux œuvres faites dans le but de s’ouvrir le chemin du ciel, ainsi qu’aux médiations de l’Eglise – indulgences, pélerinages, culte des saints, culte marial, prières pour les morts. Le protestantisme d’aujourd’hui maintient le salut par la grâce seule, mais offert à tous, dignes et indignes, croyants et incroyants. Reste à saisir cette grâce offerte, cadeau admirable de Dieu.

Liliane CRÉTÉ


(1) Marc Lienhard, Martin Luther. Un temps, une vie un message, Genève, Labor et Fides, 1991, p. 40

Sola Fide, la Foi seule

La justification par la foi seule, pierre à justification par la foi seule, pierre angulaire du protestantisme et pierre d’achoppement avec l’Eglise catholique, est pour le réformé non seulement un principe de base mais encore une conception existentielle : en le proclamant Luther, et plus encore Calvin, changea l’homme. Remontons à l’origine.
Se fondant sur l’épître de Paul aux Romains, Luther affirme que le péché originel n’est pas effacé par le baptême ; il demeure présent dans l’homme et la réalité du péché domine toujours l’existence humaine. Même justifié, l’homme reste pécheur. Mais à l’homme sauvé par miséricorde, Dieu donne la foi qui seule permet l’acquiescement intime à l’amour de Dieu qui lui est offert en Jésus Christ. Et le Réformateur saxon avance ce principe qui marquera à jamais la tradition protestante : le chrétien reçu en grâce est, par la foi, tout à la fois juste, pécheur et pénitent : juste parce qu’il est justifié par la grâce divine ; pécheur parce qu’il a conscience que cette grâce est un don gratuit dont il se sait indigne, pénitent parce que le pécheur justifié devient soldat de Dieu. Commentant Romains 1,17,  » la justice de Dieu est révélée « , Luther écrit :

 » Ce qui se révèle dans les doctrines humaines et ce qui s’y enseigne, c’est la justice des hommes (elles entendent dire qui est juste ou le devient à ses propres yeux et aux yeux des hommes, et comment on est ou devient tel). Mais c’est dans le seul évangile que se révèle la justice de Dieu (il nous y est dit qui est juste et devient tel aux yeux de Dieu, et comment on l’est et le devient). C’est par la foi seule que cela se fait, la foi par quoi l’on croit à la Parole de Dieu. […] Car c’est la justice de Dieu qui est la cause du salut. Ici encore, la  » justice de Dieu  » ne définit pas une qualification propre de Dieu [vue] en sa personne, mais la justice qui, venant de Dieu, nous justifie ce qui a lieu par le moyen de la foi de l’Evangile.  » (1)

Luther déclare donc que la foi que le chrétien reçoit par le Saint Esprit, est le lien qui l’unit au Christ, union que l’homme justifié mais toujours pécheur ne peut réaliser par lui-même. Peut-on dire alors que la foi est nécessaire pour permettre l’union avec Christ et que cette union forme la deuxième étape dans l’ordo salutis, après la grâce ? Ou bien, au contraire, le principe de sola gratia – sola fide n’est qu’une seule et même caractéristique du salut ?

La prose et la pensée théologique rigoureuses de Calvin devraient nous permettre d’y voir plus clair. Que dit Calvin ? D’abord que la justification par la foi est  » le principal article de la religion chrétienne « . (2) Ce don divin seul permet de croire en l’existence de Dieu, et en la véracité des récits concernant le Christ, ou pour le dire autrement, la foi permet à celui qui l’a reçue non seulement de croire que Dieu et Christ existent, mais encore de croire en Dieu et en Christ. La foi est encore ce qui permet la régénération de l’homme.

Une fois la grâce reçue ? Oui si on part du principe que par la foi seulement nous pouvons participer à la grâce de Jésus Christ et aux  » fruits qui nous en reviennent « . Calvin, au deuxième livre de l’Institution Chrétienne, montre clairement que toutes les causes du salut, y compris le don de la foi proviennent de la grâce qui est commencement et source. Commentant Ephésiens 1, 5-6, il écrit en effet que Paul  » enseigne que Dieu nous reçoit en sa grâce par sa pure miséricorde ; que cela se fait par l’intercession de Christ ; que nous recevons cette grâce par la foi ; et que le tout tend à ce but, que la gloire de sa bonté soit pleinement connue.  » (3)

Il y a bien enchaînement des causes. Mais ce qu’il faut savoir, c’est que Calvin ne plaça jamais la grâce, la foi, la justice, la sanctification dans un ordre de valeur chronologique immuable et s’il affirma haut et clair que le don de la foi procédait de la miséricorde du Dieu tout puissant, il lui importa surtout de démontrer la passivité de l’homme dans le processus. Je crois alors que nous pourrions parler d’une double grâce : Dieu nous justifie, c’est-à-dire nous rend justes par pure miséricorde et non à cause de nos mérites, et il nous donne conjointement la foi pour que nous puissions  » croire  » en notre justification en Christ. La communion avec Christ, rendue possible par le don de la foi, est la preuve de notre élection. De plus, en permettant notre union au Christ, la foi procède à la régénération de l’homme, c’est-à-dire, qu’elle amène le rétablissement dans son intégrité première de l’image brouillée de Dieu que nous avions depuis la faute d’Adam.

Liliane CRÉTÉ


(1) Martin Luther, Cours sur l’Epître aux Romains (extraits) in : Œuvres, (Bibliothèque de la Pléïade), Paris, Gallimard, 1999, p. 9.
(2) Institution de la Religion Chrestienne…, 4 vol. Jean-Daniel Duboit, Paris, Vrin, 1957 III, II, 1
(3) ibid., II, XIV, 17.


Le sacerdoce universel des croyants ou nous sommes tous prêts

C’est encore un des grands principes mis en évidence par les Eglises protestantes depuis l’origine de la Réforme. En effet, Luther développe ce principe très tôt en affirmant :  » le baptême seul fait le chrétien. Tous nous sommes prêtres, sacrificateurs et rois. Tous nous avons les mêmes droits (…). L’Etat ecclésiastique ne doit être dans la chrétienté qu’une sainte fonction. Aussi longtemps qu’un prêtre est dans sa charge, il paît l’Eglise. Le jour où il est démis de ses fonctions, il n’est plus qu’un paysan.  » (Manifeste à la nation allemande, 1520)

L’affirmation du sacerdoce universel des chrétiens pose dès le 16ème siècle les bases de l’égalité fondamentale entre tous les chrétiens à partir du baptême et de la responsabilité commune des croyants. On ne mesure peut-être pas la nouveauté radicale qu’apporte ce principe. C’est certainement la plus grande nouveauté qu’apporte le protestantisme. Désormais, il n’y a plus de classe sacerdotale. IL s’agit d’ailleurs d’un point théologique qui fait encore problème aujourd’hui dans le dialogue entre catholiques et protestants.

Que signifie ce principe du sacerdoce universel ?

Il ne fait pas de doute au 16ème siècle que la condition sacerdotale est une condition particulière. Le prêtre est l’homme de Dieu et il semblait normal de faire la distinction entre les prêtres d’un côté et les simples fidèles de l’autre.

Or, Luther vient affirmer que rien ne justifie pareille séparation. De même que la grâce est accordée à chaque être humain sans distinction, de même chacun a sa place dans l’Eglise dès lors que chacun répond à l’appel que Dieu lui adresse. En conséquence, la Réforme insiste pour dire qu’il n’y a pas de hiérarchie entre la vocation du simple baptisé et celle de la plus haute autorité religieuse. Tous sont à la même distance de Dieu. C’est pourquoi le pasteur n’est pas un  » être à part  » et c’est pourquoi le premier acte de Luther est de se marier. Ce geste aura valeur de symbole pour l’ensemble du protestantisme et autorisera le mariage à tous les pasteurs. Nous assistons là à une position théologique du protestantisme qui entraînera une mutation sociale sans précédent. En effet, le sacerdoce universel, s’il concerne la façon dont le chrétien s’implique dans l’Eglise, concerne également, et ce, de façon non moins significative, son implication dans le monde.

Gabriel Vahanian fait remarquer que, succession apostolique ou non, l’Eglise est en jeu non seulement dans ce qui fait la particularité d’une vocation pastorale mais aussi dans l’exercice de toute vocation, qu’elle soit d’ordre ecclésial ou social. Pour le dire autrement, désormais avec la Réforme, magistrat et pasteur sont tous les deux vicaires du même Christ. Se trouve alors récusée l’idée d’une société duale avec l’Eglise d’un côté et le monde de l’autre. Se trouve alors écartée l’idée selon laquelle il y aurait une Eglise à part du monde ou, à l’inverse, une Eglise qui s’y dilue. On mesure la révolution apportée par ce principe théologique du sacerdoce universel : le boulanger qui fait du bon pain ne vaut pas moins que le pasteur qui fait le plus beau des sermons. Et ainsi de suite…

La Réforme a souligné que les chrétiens servent Dieu dans le monde. Elle a dénoncé la tentation de se retirer du monde pour vivre  » à côté « . Elle a poussé à l’engagement dans des tâches concrètes en particulier en prenant au sérieux la notion de vocation qu’elle a laïcisée. En poussant ce principe jusqu’au bout, elle affirme qu’il n’y a pas de métiers qui soient plus chrétiens que d’autres. Chaque profession témoigne du Règne de Dieu qui s’approche. En étant ouvrier, artisan, banquier ou paysan, chaque profession peut être exercée comme un service des humains à partir du moment où elle est exercée dans la fidélité à l’évangile.

Cette nouvelle perception de la notion de vocation aura pour conséquence directe la professionnalisation de la société dont nous sommes toujours au bénéfice.

Mais si le sacerdoce universel concerne l’implication du chrétien dans la vie de la cité, il concerne aussi son engagement dans l’Eglise. Au regard de Dieu sur son Eglise, il n’y a ni prêtres ni laïcs, il y a des hommes et des femmes prêts à répondre à son appel. Mais Martin Luther ajoute que si personne n’est prêtre (ou si tout le monde l’est – ce qui revient au même), tout le monde n’est pas pasteur en raison de l’appel venu de l’extérieur. Ainsi, souligner l’importance du sacerdoce universel ne conduit pas à minimiser les ministères particuliers. Luther le dit :  » Même si nous sommes tous prêtres, nous ne devons pas tous prêcher ou enseigner ou gouverner ; mais on doit en sélectionner un certain nombre parmi la multitude et choisir ceux auxquels on veut confier un tel ministère  » (Martin Luther, Œuvres complètes).

Dès lors, toutes les Eglises protestantes à de rares expressions près, continuent à avoir des pasteurs. C’est une question d’ordre et de fonction dans l’Eglise.

Ainsi, la Réforme n’abolit pas les ministères, mais elle réorganise l’Eglise en insistant non pas sur des états différents (entre prêtres et laïcs), mais sur les fonctions différentes que peuvent exercer les membres d’une même Eglise. Ces fonctions sont souvent provisoires, sans cesse à redéfinir et se résument par ce simple mot de  » ministère « . De nos jours, le ministère s’entend au sens large et concerne différentes formes de services rendus dans l’Eglise. Dans le Nouveau Testament, celui qui exerce un ministère est d’abord un  » diakonos  » ce qui signifie en grec un serviteur. Ce mot a donné  » diaconie  » qui est encore utilisé pour désigner le service d’entraide dans beaucoup de paroisses. En ce sens, le ministère n’est pas seulement pastoral. IL s’exerce dans bien des domaines : entraide, accompagnement, catéchèse, etc.

Chez Jean Calvin, deux ministères seront prédominants : celui de docteur et celui de pasteur. Concernant l’exercice du ministère pastoral, il évoluera sensiblement au cours des siècles, cependant une constante demeure : le pasteur est  » serviteur de la Parole « , il a pour mission d’aider les fidèles en expliquant et en commentant les textes bibliques. Grâce à sa formation théologique et universitaire, il est reconnu dans cette fonction par l’Eglise qui reconnaît en même temps, que celui-ci ait reçu une vocation particulière de Dieu à exercer le ministère pastoral. Même si le pasteur administre les sacrements et veille à l’unité de l’Eglise, il n’a pas autorité pour diriger l’Eglise. La direction est toujours collégiale et confiée à un groupe de responsables (les  » anciens « ), à des conseils, des synodes qui ont pour tâche de  » gouverner  » tant sur le plan matériel que spirituel. Si la tâche pastorale est bien définie, elle n’est pas pourtant incompatible avec le fait que une grande partie de ce que peut faire un pasteur peut être fait par un laïc. Ainsi, dans les Eglises protestantes et dans des conditions particulières, un laïc peut annoncer la Parole, administrer les sacrements (baptême et Cène). Cette ambivalence de la fonction ministérielle est au centre des débats aujourd’hui sur le ministère.

Christian BARBÉRY


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